anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
demandait pas mieux que de se compromettre, n’ayant rien à perdre et tout à gagner, ne seraitce<br />
qu’en publicité, lui qui avait fermé depuis longtemps sa propre galerie de premier étage où<br />
traînaient des Moholy Naguy et des Vordemberghe-Gildewart invendus et vivotait bon an mal<br />
an grâce à sa librairie - cabinet de lecture au rez-de-chaussée. Sans hésiter, il fait imprimer<br />
donc, au dos de la plaquette, l’annonce de mes 20 Essais, devenus Peintures que je me suis<br />
mis à écrire d’arrache-pied.<br />
Le moyen de financement a été trouvé par Luis Fernandez, un espagnol assez beau, gominé,<br />
huileux olivâtre, au regard de velours, fumant éternellement une lourde bouffarde de merisier<br />
et très imbu de sa personne. Mou et commençant à s’empâter, déjà gras avant d’être gros. Il se<br />
vantait de ses relations occultes, de son amitié avec Sabartès, donc de Picasso, bien qu’il ne<br />
peignait pour le moment que de singuliers tableaux, si on pouvait appeler ça des tableaux,<br />
dans le genre de : La main de David et de Michel-Ange, reproduit dans un annuaire de<br />
l’Abstraction-Création, et se faisait entretenir par sa première femme, modeste modiste qui<br />
confectionnait des chapeaux à longueur de journées. Les « bibis » séparaient encore<br />
socialement les dames de celles qui sortaient « en cheveux ». Quant au tableau en question, il<br />
se présentait plutôt comme une espèce de calque ou d’épure industrielle où, en fait de mains,<br />
on n’y voyait que quelques lignes fines et abstraites, comme tracées au tire-ligne, à l’encre de<br />
Chine, sur un fond uniformément blanc, lisse, soigneusement poncé.<br />
Son idée était d’une simplicité enfantine. Chacun des peintres faisant partie de mon livre<br />
devait fournir d’abord une gravure originale, burin, eau-forte, lino, qu’importe, tirée à<br />
quarante exemplaires dûment signés et numérotés, avec lesquels on ferait un album de grand<br />
luxe et ne comportant qu’une introduction écrite par moi, et dont la vente devait couvrir non<br />
seulement les frais d’impression, mais aussi les frais de l’édition ordinaire, illustrée<br />
chichement d’une seule reproduction par tête de pipe. Bientôt, ces vingt essais annoncés<br />
devinrent vingt-quatre, du moins tel était le nombre des artistes qui figurèrent finalement dans<br />
cet album, et pour cause: ce nombre de quarante exemplaires prévu initialement, vingt pour<br />
les artistes et seize seulement pour la vente, les quatre autres revenant à l’auteur et aux<br />
collaborateurs ne suffisaient pas à couvrir le devis établi par Povolozky. Pour s’en tirer, il<br />
fallait en vendre encore au moins six exemplaires supplémentaires et c’est uniquement à cause<br />
de ces exemplaires-là que l’album auquel on a ajouté quatre peintres « influents » fût tiré à<br />
cinquante exemplaires et non à quarante. Heureuse époque quand même où le prix de revient<br />
d’une édition aussi prestigieuse pouvait s’équilibrer avec si peu de chose!<br />
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