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anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

Autrement dit, comment une histoire d’amour fort quelconque peut devenir un miroir plus que<br />

fiable de toute une société. Une photographie combien exacte des mœurs et de la sensibilité<br />

d’une fraction du temps et de l’espace. Une pierre angulaire de toute une école à venir. Tout y<br />

colle, en effet, à l’environnement ambiant : les lieux, les demeures, les décors, mais<br />

« transverbérés » tout d’un coup, rendus vibrants et vivants grâce à la magie de son style, bref<br />

par ce qui différencie une oeuvre d’art d’une photographie prise au hasard. D’où ces<br />

innombrables ratures, justement, jusqu’à ce qu’il trouve enfin le ton désiré et ce mot juste qui<br />

lui fasse sentir le goût de l’arsenic dans sa propre bouche lorsqu’il décrivait le suicide de son<br />

héroïne, par exemple, et ce qui lui a permis d’avouer sur le tard ; Emma Bovary c’est moi !<br />

Quant à moi, j’ai pu vérifier tout cela sur place, en tant que jeune journaliste, pour faire un<br />

reportage sur le roman en question. J’en ai rapporté d’ailleurs une pièce inestimable, achetée<br />

au prix du poids de la fonte chez un brocanteur de l’endroit : il s’agit, en l’occurrence, d’une<br />

ancienne plaque routière des Ponts et Chaussées de ce temps-là, indiquant les distances,<br />

d’abord de Ry, village où se déroule l’action du roman, puis de Blainville, une autre bourgade<br />

où Emma était née, toutes convergeant vers le point où se trouvait le fameux pavillon de<br />

chasse de son séducteur, qui n’existe plus, désormais, sauf dans les pages de Flaubert, bien<br />

sûr. Ici, la fiction et la réalité ne font plus qu’un. Un et indivisible. Pour toujours. Du moins<br />

tant qu’il y aura des hommes. Aussi, il me suffit de jeter un coup d’œil sur cette plaque,<br />

accrochée chez moi, pour que tant de choses rechantent dans ma mémoire. Qu’importe, alors,<br />

beaucoup de détails ont changé au fil des années, si la pharmacie de Mr Homais n’est plus la<br />

même, et si la dalle tombale de la pauvre Emma a disparu du petit cimetière près de l’ église,<br />

volée probablement par un admirateur inconnu, on y retrouve les mêmes couleurs, on y<br />

respire encore le même air dans lequel continuent à baigner comme si de rien n’était, les<br />

protagonistes de cette histoire, le comble incontesté de ce réalisme et l’extrême limite de<br />

l’imitation de la nature que les peintres ont abandonné depuis, non sans quelque regret<br />

inavoué, aux photographes, mais ainsi va la vie !<br />

Eh oui, ce qui distingue avant tout la photographie de la peinture et donne la pérennité aux<br />

œuvres de la création, c’est bel et bien ce poids du vécu, cette somme des sensations et des<br />

sentiments qui seuls possède le privilège de pouvoir métamorphoser à leur gré aussi bien les<br />

mots que les sons et les couleurs. Les musiciens appellent cela « l’oreille juste », exactement<br />

comme ce « Verro Occhio » pour les peintres synonyme d’un œil idéal, absolu en quelque<br />

sorte, pris comme pseudonyme par le créateur de Colleone de Venise, puisque comme chacun<br />

le sait, il se nommait, en vérité, Andréa Del Cioni. C’est pourquoi, également, les<br />

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