anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
qui, sans chercher quoi que ce soit, se sont approprié leurs trouvailles sinon leurs formules. Ils<br />
ont fait de l’abstraction militante exactement ce qu’ont fait auparavant du fauvisme, vers les<br />
années 1925, tous les pompiers qui ont pris feu ! Un nouvel académisme et même pire : un art<br />
de salon, un art de bazar.<br />
Eh oui ! toutes ces discussions, toutes ces recherches et tous ces tâtonnements, il le<br />
fallait. Il le fallait à tout prix. Autrement, il n’y aurait point eu de salut. La peinture se serait<br />
arrêtée là, avec un carré de Mondrian. Mais cela ne se faisait pas tout seul. C’était plus que<br />
laborieux. Dur, terriblement dur. Il a fallu aussi des années… Des années de la guerre et de<br />
l’occupation. Le départ de Hélion, son exil, la bombe atomique, que sais-je encore ? – pour<br />
que cela se réalise et prenne forme un jour. Finalement. Maintenant, c’est fait. La voie est<br />
ouverte. Le vert est mis. La peinture se met au vert…<br />
Hélion continue à travailler comme d’habitude, autrement dit beaucoup, en avançant<br />
lentement, sagement, vérifiant à chaque instant et exploitant à fond ses trouvailles. Des<br />
quantités d’esquisses s’entassent pour chaque détail du tableau, certains restent inachevés.<br />
Ce n’est donc pas un hasard que les premiers paysages véritablement réalistes de<br />
Hélion soient quelques vues de ce quartier, où il a habité du temps de sa jeunesse. Ce sont les<br />
voies de chemin de fer et la ligne d’Ouest, arborant un magnifique réseau de câbles à haute<br />
tension, flanquées de ruelles encaissées, comme pour souligner exprès cette rencontre<br />
nullement fortuite du présent et du passé.<br />
Haute tension ! Danger ! Ces pancartes s’appliquent admirablement, c’est un fait, à<br />
tout ce qui naît et renaît si péniblement, après tant de catastrophes successives.<br />
Nicolas de Staël, l’un des plus doués et le plus sincère de la seconde vague des<br />
abstraits, a essayé d’opérer le même rétablissement. Il en est mort.<br />
En partant de l’abstraction absolue, et aussi comblé d’honneurs et d’argent que Hélion,<br />
il a eu le courage de renoncer à tout et de revenir à la réalité, à cette réalité décriée qui n’a pas<br />
encore cours dans les bourses internationales de la peinture. Hélas ! c’était au-dessus de ses<br />
forces. Alors il a préféré partir en beauté, en se jetant du haut de son atelier sur le pavé<br />
d’Antibes. Tel Icare, ses ailes ont fondu au contact du soleil méditerranéen et la terre, dont il<br />
voulait s’approcher dans ses songes, a arrêté pour toujours son envol. Elle l’a rappelé trop<br />
durement à elle.<br />
Lui, du moins, il a compris : plus d’évasion, plus de lâcheté, plus de refus. Plus de<br />
comportement à l’autruche, surtout. Mais combien, parmi ses suiveurs, comprendront sa<br />
leçon ? Son haut et si déchirant exemple ? Ils sont très simples, pourtant. La reconstruction<br />
cède à la destruction. Les bâtisseurs remplacent et doivent remplacer les dynamiteurs de tout<br />
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