anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
Et la dernière toile, le dernier reste du paysage, c'est le « bleu » de Picasso. L'air<br />
immobile, l'immense horizon devant la proue d'un bateau ; c'est la peinture des départs,<br />
teintée de l'amertume de la perte de l'inconnu. Un papier peint, c'est la frontière des sommeils.<br />
A leur tour, quelques photographies actuelles illustrent cette tendance : ce sont les cieux<br />
illimités où se meuvent des trimoteurs extrêmement photogéniques égarés parmi les nuages.<br />
Les autres ne sont que des cadres dépourvus de tout sens esthétique, des simples annotations<br />
topographiques, des plans, des chroniques documentaires, etc. Pour que le paysage vive, il<br />
faut qu'il bouge, cinéma. Nouvelle conception esthétique, extra-optique, encore une preuve<br />
justificative de la définition anachronique du « siècle de la vitesse-avant-tout ».<br />
L'objectif mouvant rend tout accessible à ce grand art : tout devient extrêmement<br />
esthétique, planant avec la vitesse ralentie, molle et douce des mélodies nègres. La peinture ne<br />
peut plus concurrencer cette connaissance supérieure traduite par la photogénie du monde<br />
extérieur. Elle se réduit à la fonction provisoire, celle du laboratoire, qui distillera la couleur,<br />
la couleur pure, saine et neutre, en attendant d'être prête à couvrir les grandes constructions<br />
murales. Les murs en béton armé ont soif. Ils demandent à être recouverts des nouveaux<br />
desseins de l'humanité. La place d'un nouveau Cézanne est vacante, celui qui fera le chemin à<br />
l'envers, qui rassemblera les éléments disparates jusqu'à présent et leur donnera la vie, qui fera<br />
une peinture stable et durable, - des réalisations non pas des actes, - qui ne séparera plus le<br />
sentiment de la pensée, qui les réunira à un grand tout. Un nouvel art classique. L'art tout<br />
court. C'est l'ère et l'heure de la nouvelle jeunesse qui s'annonce.<br />
Mais revenons au style qui trône encore. Les seins, les cuisses, ce ne sont pas des nus,<br />
mais de la belle chair déshabillée. Ils deviennent, vers la fin de l'époque absolutiste, des<br />
motifs ornementaux. L'homme satisfait, las de sa curiosité sexuelle, ne les voit que comme de<br />
pâles souvenirs, comme la cendre de ses désirs brûlés. Il ne procrée plus ; après lui, le déluge.<br />
Les styles Louis XIV et Louis XV se servaient cependant d'habits entre découvrant le corps,<br />
car c'était un des moyens d'accentuer l'antagonisme des classes. La dentelle était “sens<br />
interdit” pour les sans-culottes. Aujourd'hui que le nivellement et la paupérisme dominent,<br />
l'homme est mis à nu. Alors il faut chercher dans son ventre tous les complexes ataviques,<br />
l'inconscient le plus profond, l'hérédité la plus puissante qui le distingueront de son rival,<br />
l'homme sain d'avenir. C'est l'époque de la transition, de la nudité et de l'hygiène, au sein de<br />
laquelle se cristallise déjà un inconscient nouveau, blessures, cicatrices sans nombre, tendre<br />
tatouage de l'âme, qui circuleront invisibles avec les globules rouges, de père en fils, afin de<br />
ressortir un jour, une nuit plutôt, quand celui-ci, à son tour, touchera à sa fin.<br />
33