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anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

puisait dans son grand sac noir de quoi payer les chauffeurs de taxi, les garçons de café, le<br />

pompiste, les achats dans les magasins. Plus d’une fois, profitant de l’absence momentanée de<br />

Sonia, descendue dans les toilettes, Delaunay appelait le garçon en vitesse, me forçant à<br />

prendre une brioche ou un croissant et le réglant sur le champ.<br />

Cela se comprend d’autant plus que, tout compte fait, c’est bel et bien elle qui faisait<br />

pratiquement vivre le ménage, chichement, à force d’avoir conservé, après le crack financier<br />

de 1929 qui mit brutalement fin à son commerce, naguère plus que prospère de tissus, de<br />

tapis, de lainages et de papiers d’ameublement qu’elle vendait par wagons entiers du temps de<br />

sa boutique de luxe à l’Exposition de 1925, de sa Talbot et de robes pour Gloria Swanson, un<br />

ou deux clients de province, puis un important industriel de Hollande sur lequel elle ne<br />

tarissait pas d’éloges.<br />

La Hollande… quel peuple intelligent ! Quelle organisation du travail…<br />

Et ces usines, belles, nettes, fonctionnelles, superbement modernes!<br />

Quelle différence avec ce pays de peignes-culs, si vite retournés à leurs sales habitudes<br />

d’économie de bouts de chandelles, d’épargne sordide et des antiques bas de laine.<br />

En d’autres termes, cela signifiait que Delaunay ne vendait pas. Personne ne vendait, pour être<br />

juste, particulièrement les abstraits. Acheter un tableau abstrait, c’était aussi absurde et<br />

inconvenant que de se mettre à poil et descendre le boulevard Montparnasse en courant.<br />

On pouvait avoir l’un de ses tableaux suffisamment grands pourtant pour une dizaine de mille<br />

francs (de l’époque), un Fernand Léger pour autant, un André Lhote pour cinq et un Jacques<br />

Villon pour beaucoup moins. En vain.<br />

Tous, que ce soient Arp, Pevsner, Herbin, Mondrian, Villon, Hélion, Delaunay, touchaient des<br />

allocations au chômage pour les intellectuels (sic) à la mairie de la rue Richelieu Drouot,<br />

allocation tout juste bonne pour payer l’essence d’une petite voiture comme celle de<br />

Delaunay, et encore, sans faire trop d’excès. Vous pensez, 86 francs par semaine !<br />

Pour cette même générosité là, pour venir en aide à ces pauvres bougres d’artistes touchés par<br />

la crise, quelques dames patronnesses proches du gouvernement et de la haute finance, ont<br />

ouvert le « Cercle François Villon » où ils pouvaient déjeuner pour trois francs cinquante et<br />

dîner pour trente sous seulement, se contentant, et comment, de ce qui restait. Au pis-aller, ils<br />

se rabattaient sur les yaourts à profusion et sur les sucriers de sucre en poudre que l’on vidait<br />

sans vergogne dans ces yaourts.<br />

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