anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
passion pour leurs propres naïfs, à qui on ne faisait pas attention jusque là et qui se<br />
concrétisera par la sortie du livre de Sidney Janis : They taught themselves (ils se sont faits par<br />
eux-mêmes) paru déjà pendant la guerre.<br />
Parce que, décidément, dans ces temps déjà lointains, personne ne pouvait soupçonner un seul<br />
instant que les « barbouillages » d’un faux douanier, qui n’était qu’un modeste gabelou,<br />
retraité de deuxième classe de l’Octroi de Paris, allaient valoir d’ici peu des fortunes, puis<br />
éclipser en un tournemain la renommée de tous les pompiers réunis de la Belle Epoque,<br />
Bouguereau compris, tandis que quelques-uns de ses semblables, les malchanceux, les<br />
obscurs, les réprouvés, les sans-grade, restés de parfaits inconnus de leur vivant, allaient se<br />
retrouver parmi les divers contestataires d’un art officiel périmé, mêlés à leur insu, à des<br />
révolutionnaires conscients, décidés à en finir une fois pour toutes, tous impliqués dans la plus<br />
grande crise des valeurs esthétiques que l’Occident ait jamais connue depuis la chute de<br />
l’Empire Romain.<br />
Au demeurant, pendant que les foyers de cette crise couvaient ainsi un bon bout de temps sur<br />
les cimaises du Salon des Indépendants et ne visaient, à première vue, que la remise en<br />
question de la peinture ou les nouvelles manières d’appréhender le visible, d’autres forces,<br />
d’autres pulsions venues de l’extérieur agissaient sue le visible lui-même et, le changeant,<br />
changeaient imperceptiblement tous nos modes de penser, de sentir, d’aimer, de rêver et de<br />
créer.<br />
Car la première révolution industrielle était d’ores et déjà en marche : le nostalgique<br />
Baudelaire soupire auprès de cette nature, encore bucolique à souhait, qui « se recroqueville<br />
sous l’haleine chaude des fourneaux », alors que son cadet, Verhaeren, se complaira dans les<br />
descriptions effrayantes des effets provoqués par les ondes de son choc dans ses « Villes<br />
tentaculaires » et « Les campagnes hallucinées ». Et « Le cri » du Norvégien Munch est fin<br />
prêt de se faire entendre par les Expressionnistes allemands…<br />
Tout se tient, cependant, dans la vie, et il fallait être atteint d’une incurable cécité pour ne pas<br />
s’être rendu compte que rien ne sera plus comme avant, c’est-à-dire avant les années trente et<br />
quarante du siècle précédent, pendant lesquelles s’est joué le sort de notre regard. Les dates<br />
l’attestent amplement. Les peintres d’avant-garde, les premiers à rompre avec les traditions et<br />
les conventions plastiques plusieurs fois séculaires, naissent, comme par hasard, dans les<br />
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