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anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

Merci, mon cher Perrenoud. Merci de m’avoir non seulement rendu ma santé, assez<br />

compromise, et justement à cause de cette lutte sans répit que je mène en faveur de vos<br />

semblables ; merci de m’avoir rajeuni, tel Faust, ne fût-ce qu’un instant, à force d’avoir<br />

ressuscité ma jeunesse. La boucle devait être bouclée.<br />

Du hasard ? Encore et toujours du hasard ? Allons donc !<br />

Commençons tout de même par le commencement.<br />

Raoul Perrenoud naît de parents auvergnats, dans le 13 e arrondissement de Paris. Mais<br />

il ne voit pas le jour pour autant. Des tumeurs, que l’on appelait alors des « taies »,<br />

l’empêchent de voir. Il vit et grandit donc dans l’obscurité la plus complète. Il ne connaît du<br />

monde extérieur que des obstacles lisses ou rugueux, tièdes ou froids, massifs ou coupants.<br />

Aussi, lorsque les autres enfants de son âge vont à l’école, jouent, ou explorent leur petit<br />

univers, lui reste toujours seul, pense, et s’interroge sans doute sur la particularité de son état.<br />

Il s’interroge, soit, mais il interroge en même temps, sans cesse, la densité, la résistance, la<br />

structure et la signification réelle des choses qu’il ne peut appréhender qu’avec ses mains.<br />

C’est par les mains qu’il commence à connaître le monde, et c’est encore par les mains qu’il<br />

continue à lui arracher ses secrets.<br />

Dans une nuit perpétuelle que ne troublent que les bruits, les sautes du vent, les vagues<br />

odeurs et les parfums, qui semblent revêtir, eux aussi, une étrange présence, le petit Perrenoud<br />

cherche à découvrir les lois qui régissent ce qui l’entoure et à définir sa place par rapport à cet<br />

inconnu, tous ses autres sens se liguant afin de suppléer à celui qui lui manque. Le moindre<br />

objet est examiné très attentivement par lui, sur quoi les autres ne font que glisser leur regard<br />

et jugent d’après les apparences. Ce que la lumière dérobe ou met en valeur, ce que la couleur<br />

camoufle, embellit ou enlaidit, lui confie ainsi, petit à petit, ses mystères. Il n’y a rien<br />

d’étonnant, par conséquent, à ce que son toucher se développe d’une façon vraiment<br />

extraordinaire. A tel point que même plus tard, il lui ouvrira bien des portes restées fermées<br />

pour le reste des mortels. Et cet état dure jusqu’à l’âge de huit ans et demi, lorsque le docteur<br />

Schramek, certainement d’origine tchèque (tiens, tiens…) se décide à l’opérer, au dispensaire<br />

de la Maison Blanche, boulevard Blanqui. En <strong>1907</strong>, pour être précis.<br />

L’opération réussie, quelle fut alors sa première réaction, à l’instant même où on lui<br />

enleva les pansements de ses pauvres yeux meurtris ? De l’éblouissement ? De la joie ? De la<br />

jubilation ? de la beauté universelle finalement révélée ?<br />

Eh bien, non ! Pas du tout. De la douleur. De la terreur, presque panique. La lumière<br />

lui fait atrocement mal. Le bras de sa mère approchant de son visage lui fait peur. Il ne peut<br />

retenir un cri. Aussitôt, il referme les yeux, ne voulant pas continuer une expérience par trop<br />

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