anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
Si c’était un appel du sang dans mes veines, il ne m’était toutefois d’aucun secours à la<br />
direction à prendre, car j’ignorais de quel patelin fût originaire mon aïeule, que mon aïeul,<br />
colonel des lanciers polonais, sous le commandement de Poniatovski, épousât après la chute<br />
de l’Empereur.<br />
Le hasard, l’heureux hasard l’a décidé pour moi par le truchement d’un peintraillon rencontré<br />
à Montparnasse, dont le beau-frère, aimant les arts possédait une villa à Damgan, et ce serait<br />
le diable si ce beau-frère n’arriverait pas à me loger sur sa recommandation.<br />
En débarquant dans cette petite station balnéaire morbihannaise, le beau-frère n’avait rien<br />
pour moi, bien sûr, mais il connaissait un pauvre fermier des environs qui, lui, pourrait peutêtre<br />
me loger. Effectivement, il pouvait me céder la chambre de son fils aîné parti au<br />
régiment. Un lit, une chaise et une table en bois blanc. Sur la table, un broc et une cuvette<br />
ébréchée. Pour les commodités, il y avait le commencement d’un champ, derrière les étables,<br />
où l’on entendait glisser furtivement les vipères. De plus, la femme du fermier s’engageait à<br />
me fournir tous les soirs un grand bol de soupe au lard, et, ce, pour arrondir le prix de la<br />
location franchement dérisoire. Avec ça, je pouvais tenir longtemps…<br />
C’était l’été. Le bel été breton, limpide et lumineux, où les murs chaulés touchés d’un<br />
soupçon de bleu, paraissent plus blancs que partout ailleurs, me faisant murmurer un vers<br />
oublié de Francis Jammes: et la lumière bleue de sa gorge blanche. La gorge de mon arrière<br />
grand-mère, contemporaine de Clara d’Ellebeuse de Jammes, ou peu s’en faut, devait lui<br />
ressembler pour sûr, bien que je ne connaissais d’elle qu’un pastel très habillé.<br />
Je m’y sentais en pays connu. Bientôt la nage et les huîtres sauvages que j’ai découvertes au<br />
large, sur un rocher recouvert seulement d’un demi mètre d’eau suivant les marées, ne me<br />
suffisaient plus. J’étais pris d’une bougeotte terrible. J’abattais des kilomètres et des<br />
kilomètres. Tantôt j’atterrissais à Quiberon d’où j’ai aperçu pour la première fois, au loin,<br />
Belle-Île, sans me douter que j’y allais passer tous mes autres étés d’après-guerre, tantôt je<br />
faisais le tour du Golfe, et partout, partout, les dolmens et les menhirs poussaient librement au<br />
milieu des champs, surgissaient au bord des routes, un tantinet semblables à ces<br />
amoncellements de pierres de Magnelli qu’il pratiquait alors.<br />
Je rayonnais, au double sens de ce verbe. Des monts et merveilles étaient à ma portée.<br />
C’était l’été sanglant de la guerre d’Espagne. Privé de nouvelles, dépourvu de journaux, elle<br />
m’a été rappelée pourtant, incidemment, près de Kervoyal, par deux noiraudes, complètement<br />
nues, abondamment velues, qui criaient debout sur un promontoire, le bras tendu : Ariba<br />
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