anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
peintres du dimanche il s’essaie à peindre les jours de fête, tout seul… Et c’est à vingt et un<br />
ans seulement qu’il quitte la sculpture pour se donner entièrement à la peinture. Entre temps,<br />
il subsiste en raccommodant de menus objets pour les antiquaires et en donnant des leçons de<br />
dessin aux jeunes filles se préparant au brevet. « A ce jeu-là, je n’ai jamais pu gagner plus de<br />
quatorze sous par jour », m’avoue-t-il. « Et encore me fallait-il prélever dix centimes sur cette<br />
somme quotidienne pour acheter, au marché aux puces de Bordeaux, de quoi lire et peindre ».<br />
Nous sommes donc en 1906. Mais plus on regarde ces premières toiles de Lhote qui vont<br />
jusqu’à 1910 à peu près, sans avouer d’autre influence que celle de Gauguin (seul grand<br />
peintre qu’il a eu la chance d’admirer chez un collectionneur de sa ville natale), et celle, plus<br />
lointaine, des impressionnistes, qu’il ne connaissait qu’à travers les reproductions des revues<br />
d’Art, plus on se rend compte de l’originalité et de l’authenticité de son talent. Telle l’écriture<br />
aux yeux du graphologue, ces tableaux contiennent déjà toutes les caractéristiques de son art ;<br />
ils font deviner son tempérament sensuel et cartésien tout à la fois.<br />
Ses premiers paysages ne furent jamais impressionnistes au sens exact du terme. Car le pur<br />
impressionniste n’intervient pour ainsi dire pas, il laisse passer les nuages, fleurir les jardins et<br />
les prés et trembler les ombres sur les visages et les robes des femmes ; toujours exact dans la<br />
limite du possible, il se contente de choisir son heure, son jour, son « motif ». Devant le<br />
monde qui se meurt chaque jour, le peintre, pieusement, ne pense qu’à l’embaumer pour ainsi<br />
dire, à l’immobiliser dans sa grâce non retouchée. D’où cette passivité, cette résignation<br />
sereine devant l’instant – l’instant qui par sa répétition crée l’éternité…<br />
Dès 1906 (le peintre a 21 ans), il marque déjà ses toiles de sa griffe d’homme d’action, il se<br />
montre déjà celui qui corrige et ordonne. Et cependant, ses premières peintures paraissent<br />
spontanées : leur écriture bouclée, lovée, en spirale, porte la trace du désir de composer en<br />
même temps que de sentir. Sa ligne ornementale (n’est-il pas sculpteur-décorateur ?) parcourt<br />
les masses lumineuses, comme si le peintre voulait ramasser en une gerbe cohérente tous les<br />
éléments disséminés du spectacle naturel. Les arbres flamboient, la verdure brûle et se calcine<br />
sur des lointains mauves : tout cela est fortement sensuel mais on ne se trouve pas devant une<br />
vision purement physique, devant un témoignage naturaliste ou impressionniste ; ce sont là,<br />
déjà, les éléments détachés d’une autre nature, propre uniquement à satisfaire aux exigences<br />
de la surface plane du tableau. Voué au signe décoratif, le sculpteur-peintre, presque sans y<br />
penser, réduit les éléments du spectacle à une écriture du premier coup absolument<br />
personnelle.<br />
Tout cela est assez extraordinaire de la part d’un débutant, mais ce qui l’est davantage, c’est<br />
que les signes plastiques trouvés spontanément au contact de la réalité se montrent dès leur<br />
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