anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
JAKOVSKI Anatole et SÉLIGMANN Kurt, Protubérances cardiaques, Paris,<br />
Chroniques du jour éd., 1934, 3 p., 15 pl. de gravures originales.<br />
Après lui avoir consacré deux essais, respectivement en 1933 et 1934, Anatole Jakovsky<br />
s’allie avec Kurt Séligmann dans le but de proposer un poème illustré par des eaux-fortes du<br />
peintre. La Bibliothèque nationale de France en conserve un exemplaire.<br />
Ici on change les cœurs Mesdames, Messieurs. Surtout à cette heure humide des<br />
gravures, à cette insaisissable heure des promenades et des chauve-souris, l’heure très<br />
ancienne, jaunie par les restes du soleil, quand la journée perdue miroite encore dans les<br />
amalgames ovales des lacs, - mais voilà, on allume la première étoile, - les villes s’allument, -<br />
candélabres de pierre, - on allume partout le gaz, le long des murs lépreux ocrés par les becs<br />
de gaz, nous rencontrons les paramètres maladroits du cœur, percés par une flèche d’amour.<br />
Supposons qu’il pleuve. Sur les vitres, sortant leurs mouchoirs dentelés des rideaux,<br />
coulent les paysages solubles, - votre propre cœur affamé et nu est prêt à se jeter sous cette<br />
pluie obtuse qui réfracte les lumières troublantes du soir, ses grimaces et ses miasmes, - la<br />
pluie battante qui s’arrête brusquement et se transforme en violon, la pluie qui expire dans les<br />
dernières gouttes immobilisées sur les vitres, - minces et débiles lentilles d’eau munies de<br />
l’étonnant pouvoir d’agrandir en centaines de fois chaque chagrin, chacune de vos douleurs<br />
décimales, - votre cœur alarmé et en flammes, - le cœur flamboyant qui est prêt à se jeter dans<br />
la nuit sans fin, comme cet astre prostitué ; la cigarette mordue par le rouge des lèvres, qui se<br />
jette désespérée de sa fenêtre sur le pavé terrestre, traînant la fumée lactée tout le long de sa<br />
nuit finale, - le cœur incandescent, qui remonte lourdement, malgré la gravité, le ciel, - bolide<br />
pervers qui dresse sa perpendiculaire lumineuse vers un point du ciel, vers un seul point, car il<br />
n’y a qu’une seule perpendiculaire pour un point donné, il n’y a qu’une seule tangente à un<br />
nerf enflammé, vers le point unique de ce ciel pointu, où il touche la cavité céleste, où il<br />
s’enfonce dans le nid noir et encore chaud, d’où était tombée cette étoile en chemise.<br />
Je pleure de fatigue… Je pleure de voir le sens interdit de mes rêves… Je mêle mes<br />
larmes flexibles à celles de la pluie qui s’arrête, - je pleure de vouloir étouffer l’incendie<br />
progressif des éclairs…<br />
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