anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
faire partie de sa biographie ré-écrite entièrement par elle dans un certain sens, où les dates<br />
changeaient selon son bon plaisir.<br />
Le reste était à l’avenant. Une très grande pièce pour ainsi dire nue, toute en placards en<br />
pitchpin, à n’en plus finir, le long des murs, des énormes fauteuils fort confortables recouverts<br />
de tapisseries de Sonia, une non moins gigantesque table basse dont le dessus était en verre<br />
épais sur lequel il n’y avait que deux photographies de lui et de Sonia, toutes par Florence<br />
Henri, leur amie de longue date et leur portraitiste, un vase rond en cristal garni de trois ou<br />
quatre roses rouges. Le tout également du pur style Arts-Déco. Pas de gravures, pas de<br />
bibelots à l’exception d’une toile importante en longueur représentant deux disques<br />
simultanés Soleil, Lune, comme de juste, posée bien en vue sur un chevalet. Un décor rêvé<br />
pour l’ « Aurélien » d’Aragon quoi !<br />
Que sont-ils devenus, ce mobilier et cette porte historique ? Dans quelles mains se trouvent-ils<br />
à présent ? Car, lors de leur déménagement à la cloche de bois, faute de pouvoir payer le loyer<br />
trop onéreux, on s’en doute, survenu à la veille de l’Exposition Universelle de 1937,<br />
déménagement auquel j’ai participé activement, soit dit en passant, en coltinant d’étages en<br />
étages des boîtes, des cartons et des caisses de paperasses, livres dédicacés, livres illustrés par<br />
eux, éditions originales rares, sans oublier les fameuses « archives » de Sonia, des<br />
photographies et des coupures de presse, en veux-tu, en voilà, le moindre bout de papier<br />
imprimé s’y trouvait et elle y tenait comme à la prunelle de ses yeux. Les Delaunay n’ont<br />
emporté que le strict nécessaire tel quel, sur place. Sans compter ce que recelaient les dits<br />
placards, autrement dit des tonnes et des tonnes de tissus imprimés, des écharpes et des<br />
cravates créés par Sonia, que sais-je encore ? En récompense, elle m’en a offert une d’ailleurs,<br />
simultanée comme de bien entendu, que j’ai portée une saison ou deux avant de la jeter à la<br />
poubelle, ne me doutant pas le moins du monde que quelques décades plus tard, elle aurait pu<br />
faire l’orgueil de n’importe quel musée à la page. Cela s’est passé à notre dernier voyage<br />
seulement, juste avant de mettre la clef sous la porte, non, sous le paillasson, les portes de ces<br />
immeubles ne laissant même pas passer une lettre. Ainsi, c’est la seule chose que Sonia m’ait<br />
jamais offerte. Je dis bien une, alors que des centaines, sinon que des milliers allaient être<br />
envoyées le lendemain à la décharge par le propriétaire blousé.<br />
Or, ce que je sais, par contre, c’est que ces meubles, la porte mise à part, je les aurais<br />
certainement reconnus s’ils avaient figuré dans une exposition rétrospective. Perdus ? Détruits<br />
? Partis à l’étranger ?<br />
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