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anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

Les ustensiles amortis. Le mystère périmé des rites magiques. Les secrets perdus des<br />

formules alchimiques.<br />

Vous vous souvenez, lecteur errant, de la ruelle d’or de Prague, rue naine habitée<br />

autrefois par les savants fabriquant l’or artificiel, la rue éphémère, accrochée aux couronnes<br />

des arbres de la vallée des cerfs, - l’impasse plutôt, peuplée de maisons moins hautes que le<br />

regard humain, - les bonnes femmes plus hautes que les toits avec leurs cheminées, - les<br />

femmes grasses, sortant de leurs portes, vous offrant les cartes postales à 10 sous et les<br />

bellevues sur la vie de leurs ancêtres. Leur passé auréolé se cache derrière les chromos banals,<br />

- le passé qui ne pèse plus et qui dépasse le présent, - le passé qui se penche toujours en avant,<br />

comme les trophées héroïques d’un musée. Le monument héroïque aux morts. Morts pour la<br />

patrie des poètes et des fantasques.<br />

Les désastres hivernaux font geler la terre couverte jusqu’au nez par les draps de neige. Les<br />

hivers sans neige tracent les crevasses laides et longues sur cette dernière écorce de la terre, de<br />

la Terre réservée à nos pieds et tachetée par nos semelles, - nous marchons sur des trésors<br />

souterrains de beauté, sur des myriades d’ossements des belles, des belles blanches et pures,<br />

couvertes par les mouches gluantes, drapées dans leurs cheveux roux, blonds et noirs. Est-ce<br />

qu’on peut oublier les frémissements de la terre, avec laquelle on a tremblé ?<br />

Est-ce qu’on peut vraiment résister à cet infinitésimal désir de posséder une de ces<br />

femmes impalpables, à la demande d’amour irréalisable avec une femme, qui n’est qu’un<br />

nuage, - les femmes qui apparaissent et disparaissent sans cesse, multipliées par le manque de<br />

bruit, par l’absence de sommeil, pendant cette triste agonie des lampes matinales, pendant que<br />

les heures démesurées coulent à l’envers, pendant cette existence abstraite des vitesses qui<br />

s’échangent exclusivement à l’intérieur de nous, - lorsque l’homme retrouve de nouveau son<br />

orbite et perd inévitablement le reste, le reste impératif, irrépétable et irrémédiable, et lorsque<br />

finalement les sons rares de flint-glass de l’aube, l’écume des flammes et l’écume des rêves se<br />

solidifient, pour ne jamais revenir, et deviennent cendre de cigares – tendre, poreuse et calme<br />

cendre de cigares, des cathédrales ogivales – soulagement réciproque des vertiges et des<br />

hauteurs blanchies, où s’évanouit la lune ordinaire.<br />

Et voilà le dernier mot qui tombe et la page devient vide, comme le firmament<br />

d’automne.<br />

C’est le flûtiste de Séligmann qui chante son nocturne breveté.<br />

C’est son escamoteur qui cache les constellations dans sa poitrine.<br />

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