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anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

Notre mémoire est ainsi faite, cependant, qu’il est des choses qui s’y gravent à jamais, alors<br />

que tant d’autres glissent et s’effacent sans laisser de traces. Même aujourd’hui, à quelque<br />

demi-siècle de distance à peu de chose près, je suis encore capable de décrire chaque pièce, le<br />

moindre détail, l’emplacement de toutes sortes d’objets, de sorte que je saurais indiquer les<br />

yeux fermés, sans me tromper, l’endroit où se trouvait l’un des tiroirs, tout en bas d’un de ses<br />

placards, remplis à ras bord de lithos de Robert La fenêtre, La Ville, le déambulatoire de<br />

Saint-Séverin dont il retirait une de chaque, une demi-heure à peine après que nous nous<br />

soyons rencontrés pour la première fois, afin de me les offrir de bon cœur. Dédicacées.<br />

Nous fumions la pipe… Dès que la mienne était vide, il sortait de sa poche un paquet de «gros<br />

cul», froissé, avachi ; je ne lui en ai jamais connu d’autres.<br />

De quoi parlions-nous ? De tout et de rien. D’Apollinaire, entre autres, puisqu’il est allé<br />

chercher pour me la montrer une relique sans prix, les dernières épreuves corrigées de la main<br />

de l’auteur des Alcools, là où Apollinaire avait supprimé la ponctuation. Elles étaient reliées<br />

d’une drôle de façon par Sonia, à l’aide de papiers multicolores collés, ceux des chocolats y<br />

compris.<br />

Et c’est alors que Sonia fît son entrée. Chose curieuse, elle m’a paru d’emblée plus vieille<br />

que lui, bien qu’ils étaient exactement du même âge. Vous pensez, une femme de 48 ans<br />

passablement lourde, plantureuse sans être énorme, très maquillée, ce qu’on avait coutume<br />

d’appeler les beaux restes. Ce ne pouvait être malgré tout qu’une vieille femme aux yeux d’un<br />

freluquet tel que moi. D’assez beaux yeux très sombres, presque orientaux, couleur du bois<br />

des îles accentués par un charbonnage à outrance, très Hollywood, humides et brillants et<br />

cependant sans aucune chaleur. Froids. Des yeux calculateurs qui vous scrutent, pèsent et<br />

songent. Qui sait après tout si ce n’est cette absence d’expression, de désirs et de passions que<br />

l’on attribue à tort ou à raison à cette brillance qui rendait la communication avec elle<br />

malaisée et forçait les gens à se tenir sur leurs gardes. Le courant ne passait pas. Quel<br />

contraste avec Robert enthousiaste, bondissant, s’enflammant pour un rien !<br />

Tranquillement, elle a pris de mes mains les épreuves reliées et alla les remettre à leur place.<br />

Blaise Cendras… commença-t-elle au bout d’un moment de silence…<br />

Blaise Cendras…<br />

Ta gueule, Sonia ! Tu ne vois donc pas que ce puceau à autre chose en tête que tes balivernes ;<br />

Cendras !<br />

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