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anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

naïfs, ces innocents aux mains pleines, qui l’approchent le plus près. Sans le savoir, bien<br />

entendu.<br />

L’œil, aussi parfait qu’il soit, ne suffit pas. Il n’est pas uniquement une lentille. Il y a<br />

du sang, des nerfs, et surtout, il y a de la vie, devant comme autour de lui. Il faut pouvoir<br />

sentir, fort, très fort. Il faut avoir souffert, il faut avoir aimé ce qui nous entoure, afin de<br />

pouvoir le donner à sentir et le donner à voir aux autres. Rousseau l’a fait, et Perrenoud le fait.<br />

Les ethnologues ont beau partir au bout du monde, explorer les confins de<br />

l’Amazonie, par exemple, pour essayer d’y saisir les balbutiements du dessin ou quelques<br />

rudiments de l’acte créateur ; ils n’en rapportent généralement que les signes atrophiés, les<br />

répétitions mécaniques, si ce n’est les formules périmées dont les indigènes ont perdu le secret<br />

depuis belle lurette. Et en tous points pareilles à celles qui servent ici à peindre des nus, des<br />

paysages, des natures mortes, j’en passe. Sans âme.<br />

Mais qu’un homme de notre temps, en plein Paris, crée comme personne avant lui, et<br />

répète de ce fait ce que les Magdaléniens et autres Aurignaciens firent en nommant les choses<br />

pour la première fois il y a vingt ou trente mille ans, cela n’intéresse, hélas, personne !<br />

Curieux, bizarre, amusant tout au plus. Ah ! si Perrenoud était seulement canaque, troglodyte,<br />

ou coupeur de têtes… Ce serait tout différent, naturellement.<br />

D’où la double difficulté de ma tâche. D’où les scrupules de tout à l’heure. Comment<br />

présenter, évidemment, – et le plus objectivement, le plus honnêtement possible – cet homme<br />

qui s’est fait tout seul, qui a découvert tout un art de guérir (ce qui serait déjà digne de notre<br />

estime et de notre admiration), son art tout court, ensuite, je veux dire sa peinture, en relief ou<br />

non, sans que cela fasse rire, ou ne donne prise aux sarcasmes de rigueur ? Avec quels mots<br />

aussi, puisque notre vocabulaire artistique si riche en ce qui concerne les nuances de tons, le<br />

rythme, la composition, et tout et tout, est étrangement pauvre, ou sonne faux, creux, ou<br />

vieillot, dès qu’il s’agit d’exprimer quelque chose qui respire et qui vit ?<br />

Des années ont passé, certes, mais les naïfs sont et demeurent « naïfs », autrement dit :<br />

nos pestiférés, nos parias, nos réprouvés, nos intouchables. C’est ainsi. On en est encore à<br />

Horace Vernet, qui prétendait que chez eux « tous les ciels sont bleus, les arbres verts, et le<br />

pantalon garance »… Qu’ils se ressemblent tous, comme se ressemblent tous les Chinois aux<br />

yeux d’un Occidental.<br />

Me voici donc, une fois de plus, grâce à Perrenoud, en défenseur des causes perdues.<br />

Perdues ? Jamais de la vie… Gagnées ! Gagnées sûrement, même s’il faut encore<br />

attendre quelques années. Ça vient, pourtant, et même plus vite qu’on ne pense.<br />

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