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anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

Du rouge au vert… Les rouges de Valmy, les bleus des « Trois Glorieuses », le blanc de<br />

Vichy. Dans ces couleurs de Delaunay, revivaient en coup de flash-back, les barricades de<br />

Delacroix, les reliques effilochées de la chapelle Saint-Louis des Invalides et les enseignes<br />

des bateaux-lavoirs. Les coquelicots des champs, les cieux lavande d’Ile de France et les<br />

neiges d’antan de François Villon. Indépendamment de toute politique, parallèlement à une<br />

« certaine idée de la France », il y avait là les lumières, les couleurs archétypées de la France,<br />

celles qui font battre le cœur, ne serait-ce qu’en apercevant la première ganse rouge sur les<br />

culottes bleues avachies des douaniers, après une longue absence. Avant, bien avant<br />

Delaunay, le maître de Moulins, du centre géographique de l’hexagone, avait dressé déjà un<br />

arc-en-ciel semblable au-dessus de ce qu’allait être plus tard la France d’aujourd’hui. Les<br />

Bazaine et les Manessier, les derniers survivants d’une peinture sensible, laquelle ne se<br />

fabrique pas au mètre, à l’instar des papiers peints. Les lithos de sa veuve ne sont pas<br />

pensables sans lui.<br />

Prenez un tube d’outre-mer, prenez un autre de garance, donnez les à deux peintres différents,<br />

et le résultat ne sera pas le même; aussi différents que les clichés pris avec le même appareil<br />

par des photographes différents devant le même paysage. La magie de l’œil, on l’a ou on ne<br />

l’a pas. Elle ne s’apprend, ne s’improvise pas non plus. Chez un, ça deviendra l’azur, une<br />

couche de ripolin chez l’autre. Il est des peintres qui ont la rétine juste, comme il est des<br />

musiciens qui possèdent l’oreille juste. Absolue. Delaunay l’avait, ses couleurs chantaient<br />

sans aucune fausse note. Miró et Matisse aussi. Il suffisait à Miró de mettre deux couleurs<br />

ensemble pour qu’on entende crépiter les auto-da-fés, voir passer les ombres sombres, graves,<br />

surgies du passé de son pays.<br />

En art, le comment de la chose donnée à voir, vaut plus que la chose elle-même. Le sujet<br />

s’efface devant son traitement et devient inéluctablement autre. Le vieux Corneille le savait :<br />

La façon de donner vaut mieux que ce qu’on donne. Le poisson du Sauveur n’est pas celui des<br />

nature mortes hollandaises, pas plus que son arête dans les assiette de Braque. Les vrais<br />

artistes s’approprient ce qu’ils regardent, le marquent de leur œil à la façon des chats et des<br />

chiens levant la patte, afin de délimiter l’espace qui leur appartient, pas leur odeur. Ils<br />

nomment les choses toujours pour la première fois. La Tour Eiffel est à jamais la propriété<br />

inaliénable de Delaunay.<br />

Alors pourquoi, pourquoi cette dégringolade ? Cette fin lamentable ?<br />

Tel l’adolescent Rimbaud, il a troqué lui aussi son étincelle d’or contre les louis d’or cousus<br />

dans sa ceinture. Les siens, c’étaient la Bugatti, les portraits mondains avouables et<br />

inavouables, et cette vie futile et folle des folles années, fuyant entre les doigts. Sa jambe<br />

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