27.10.2014 Views

anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

pour une bouchée de pain à la salle Drouot), à un réalisme très spécial, inspiré par les<br />

Flamands et Jérôme Bosch, en particulier.<br />

A cette époque-là, Hélion faisait donc figure d’un Cézanne à rebours. Les temps ont<br />

changé. Il fallait renverser le sens de l’évolution, puisqu’elle aboutissait à une impasse. Ce<br />

n’est plus à partir de la nature qu’il fallait aboutir à la sphère et au cône, ces terminus-fétiches<br />

de Cézanne, mais au contraire : c’est bien ces surfaces et ces formes abstraites, aseptisées,<br />

géométriquement impeccables, qu’il fallait de nouveau remplir avec des images de la vie.<br />

Mais que de complications, que de confusions dès qu’on prononce ces mots ! Car même les<br />

mots ne voulaient plus rien dire de ce temps-là. Tout a été déformé, travesti, perverti.<br />

Démonétisé pour de bon.<br />

Que de recherches passionnées… Que de discussions prolongées, sincères,<br />

émouvantes, fertiles…<br />

Je me souviens des nuits et des nuits entières pendant lesquelles nous arpentions<br />

l’avenue d’Orléans, l’avenue d’Alésia, l’avenue Denfert-Rochereau, jusqu’à la statue des<br />

malheureux inventeurs de la quinine, moulés en bronze, le Parisien Pelletier et l’Audomarois<br />

Caventou qui n’ont pas survécu à la guerre, fondus par les Allemands et remplacés par une<br />

matrone somnolente, piquée visiblement par la mouche tsé-tsé. Et on recommençait.<br />

Avenue Denfert-Rochereau, avenue d’Alésia, avenue d’Orléans. Il n’y avait plus de<br />

bus. Le dernier métro est passé il y a longtemps. Les trains d’Arpajon, ceux qu’on n’a pas<br />

revu, non plus, depuis la guerre, crachaient et sifflotaient se dirigeant vers les Halles.<br />

On se passionnait encore pour les idées, pour toutes sortes de choses qui ne se<br />

rapportent pas. On ne sentait même pas la fatigue. On n’avait pas soif. Tout n’était pas encore<br />

dit, jamais. Il y avait encore tant de problèmes en suspens : la forme, la composition,<br />

l’espace… Bref ce monde à part, inhumain, mécanique et abstrait qu’il fallait rendre à<br />

nouveau habitable. Qu’il fallait extraire, arracher de force à la pauvre réalité de ces nuits bien<br />

douces, insouciantes et gaies, où on ne chantait pas encore les Feuilles mortes, mais Amusezvous…<br />

et autres rengaines du moment. Ce sont les idées qui se ramassaient alors à la pelle.<br />

Le tout jeune encore H. Erni nous accompagnait souvent, lors de ses passages à Paris.<br />

Evidemment, il était encore de l’avant-garde abstraite, en plus dur et en plus métallique<br />

encore que Hélion, mais on sentait déjà que lui non plus ne s’arrêterait pas là et ferait face, tôt<br />

ou tard, sinon au réel, au figuratif, au pis aller. Son retour à Picasso classique n’était au fond<br />

pas une surprise. Seul Ben Nicholson continua à rester fidèle à cette esthétique de disette.<br />

Ah ! mais que c’est loin quand même de tous ces autres abstraits d’après-guerre – et ils<br />

sont des milliers – qui se sont rués comme un seul homme sur les recherches de leurs aînés,<br />

186

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!