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anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

Nous partons… Mon tacot est en bas. On vous emmène ? Qu’allez-vous faire ici, sans travail,<br />

sans amis.<br />

C’est vrai. Mais qu’allais-je faire je ne sais où, dans le Midi que je ne connaissais que par les<br />

cartes postales, dépourvu de ce maigre argent que je me procurais quand même tant bien que<br />

mal en réussissant à placer un article par-ci par là ? Vivre à leurs crochets ? C’était<br />

impensable pour moi. D’autant plus que le silence coutumier de Sonia, ce matin là ne me<br />

disait rien qui vaille. Moins que jamais…Allez, décidez-vous, le temps presse ! Ils sont peutêtre<br />

déjà à Amiens.<br />

Enfin, en devinant mon refus, mon regret et les comprenant sans doute, il a regardé<br />

vaguement les uns après les autres mes pauvres murs lambrissés, les paperasses sur ma table<br />

de travail, la lucarne qui s’emplit tout d’un coup d’un lourd bourdon effarouchant de pigeons<br />

affolés, et il a dit lentement, non sans amertume cachée: j’aurais pu vous donner un tableau,<br />

c’était promis depuis longtemps. Il y en a justement quelques-uns dans le coffre. Mais où<br />

l’accrocheriez-vous ? Dommage, ce sera pour plus tard. Du courage, on les aura !<br />

Oui, il y a des moments que l’on n’oublie pas. Les brusques sautes du vent dans la parole…<br />

Le nuage dans le regard… Indices de l’indicible naufrage de toute une vie…<br />

Je ne l’ai plus revu. J’ai même appris sa mort avec deux ans de retard. A la libération, j’ai<br />

rappelé incidemment cette brève rencontre à Sonia. Elle ne se souvenait de rien. Elle qui a une<br />

mémoire infaillible… Je n’ai pas insisté. À quoi bon ?<br />

Une seule fois, j’ai crû apercevoir dans les yeux de Sonia une lueur presque humaine. Elle<br />

était à « La Hune » avec son petit-fils âgé d’une douzaine d’années. Cà ne vous dit rien ?<br />

Vous n’avez pas remarqué, c’est Robert tout craché ! Epouse ou Mère ? Mère et Grand-Mère<br />

plus qu’amante ? La mante religieuse ? Je n’en sais rien après tout. Je cherche. Ou encore<br />

l’effet d’une simple réaction physique qui se produit sur des bouteilles remontées d’une cave<br />

très fraîche se couvrant instantanément de buée ?<br />

Le lendemain de cette ultime rencontre, en descendant pour prendre mon café dans le bistrot<br />

du coin, j’ai trouvé une ville morte, à la Giorgio de Chirico. Pas âme qui vive… Les portes<br />

closes, les fenêtres fermées, les rideaux de fer rabattus sur les boutiques et des meutes de<br />

chiens et de chats errants, abandonnés à leur triste sort dans la précipitation du départ.<br />

Machinalement, je suis descendu jusqu’à la Seine, sans rencontrer un passant. Seuls les<br />

bouquinistes, ces paysans de Lutèce, avaient ouvert leurs étalages comme si de rien n’était.<br />

Qu’il gèle, qu’il pleuve ou qu’il vente sur la ville, ils s’en fichaient royalement.<br />

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