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anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

ensemble subit les mêmes saisons mentales, les étés, les automnes, les hivers auxquels nul<br />

n’échappe et qui n’empêchent pas le monde, ni la terre de tourner, ni de se diriger toujours<br />

vers le même point de notre galaxie. Je sentais donc venir l’hiver, et, ce, sans regarder par la<br />

fenêtre. Je prenais conscience de la mort d’une civilisation. La sempiternelle phrase de Valéry<br />

la concernant, que je prenais pour un exploit brillant d’un vieillard désabusé se vérifiait, se<br />

justifiait par des tableaux synoptiques de cet obscur professeur d’outre-Rhin et prenait corps<br />

dans mon esprit, si j’ose m’exprimer de la sorte. J’en ai entendu parler par des filles et des<br />

garçons, sains, robustes, pleins de vie à ras-bord, parcourant à bicyclette ou à pied son pays,<br />

se soûlant le soir de chansons romantiques au coin de feux improvisés, comme pour exorciser<br />

le germe de la mort qu’ils portaient déjà toutes et tous en eux, sans le savoir…<br />

Mon bel été breton s’achevait dans les rosées matinales, qui se prenaient à s’y méprendre pour<br />

les premières gelées, et dans la flamboyance exacerbée des géraniums des fins des journées,<br />

lorsque les rouges, les oranges et les mauves ne sont aussi mauves, orangés et rouges qu’à la<br />

veille de mourir, couleurs que j’ai reconnues non sans surprise, dans les derniers tableaux de<br />

Bonnard. Il fallait songer au départ…<br />

Au printemps de cette même année 1936, avant de venir ici, j’avais donné trois conférences<br />

sur l’art abstrait dans un tout petit théâtres au nom prédestiné le Studio Arc-en-Ciel sis 33 rue<br />

de Surène, à deux encablures tout au plus de la place de la Madeleine, où le marionnettiste G.<br />

Blattner donnait ses représentations d’un genre révolutionnaire, qui, cependant, n’avaient pas<br />

l’air d’attirer les foules. Sans doute parce que la stylisation violente de ses personnages,<br />

influencés par les films expressionnistes, très en vogue en Europe Centrale ne<br />

correspondaient, mais pas du tout, au goût du public français, resté fidèle à la vieille veine<br />

populaire sans sophistication aucune de Guignol et autres « Anatole », faisant toujours recette<br />

aux Champs-Élysées.<br />

Sur le point de fermer, la salle restant néanmoins disponible pour un mois encore, il me<br />

proposa donc d’en profiter. J’ai accepté. Un hongrois de ses compatriotes m’avait prêté, à<br />

cette occasion, un complet disons « mettable ». Je m’explique. La garde-robe de Calder, c’està-dire<br />

les vestes bariolées, un peu trop grandes pour moi, les chemises jaune-canari et les<br />

cravates vermillon, par exemple – on les voit sur mon portrait peint à cette époque par Chirico<br />

! – dont il me faisait généreusement cadeau à chacun de ses retours aux Etats-Unis, au lieu de<br />

les abandonner tout simplement sur place, leur paraissait franchement inconcevable alors que<br />

moi, habitué peu à peu à tout cela par la force des choses, je ne faisais même plus attention<br />

aux gens qui se retournaient sur moi, dans la rue. Dans les cafés de Montparnasse, si vous<br />

voulez… Mais pas dans son théâtre ! Cette excentricité n’y était pas de mise, m’a-t-il affirmé.<br />

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