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anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

coin quelconque du tableau, Notre-Dame de Laghet qui veille : exactement comme sur cet exvoto,<br />

décrit par Guillaume Apollinaire : « La mer déchaînée ballotte une pauvre coque<br />

démâtée, sur laquelle est agenouillé un homme plus grand que le vaisseau. Tout semble perdu,<br />

mais la Vierge de Laghet veille dans un nimbe de clarté au coin du tableau… »<br />

Qu’importe d’ailleurs le sujet ! Qu’importe l’accident. Ce n’est pas le miracle, s’il y a<br />

miracle, qui nous intéresse, mais sa représentation, comment il est peint.<br />

Or, il est peint absolument de la même façon que jadis ; comme tous les autres<br />

tableaux naïfs, d’où qu’ils viennent : avec la même minutie, avec la même application et le<br />

même désir d’aller jusqu’au bout de leurs moyens. Est-ce pour cela que ces ex-voto ont tous<br />

l’air un tantinet ébloui, qu’ils gardent même quelque chose de chrysalide, quelque chose qui<br />

voit le jour pour la première fois ? Rares sont les gens, en effet, qui se contentent de découper<br />

les photographies et, en faisant un photomontage malhabile, restituent la scène de l’accident<br />

évité. De même que forts rares sont ceux qui déposent tout simplement leurs béquilles ou une<br />

plaque de marbre avec leur nom et quelques paroles de remerciement gravées en or, comme<br />

cela se fait un peu partout ailleurs. Ici, sur la Côte d’Azur, ils font figure de pauvres, vraiment<br />

très pauvres, à côté de cette féerie des formes et des couleurs qui ont pris corps. Cela prouve,<br />

par conséquent, que même l’homme moderne est encore capable de s’émerveiller du spectacle<br />

de la réalité, mû par un sentiment quelconque. Guillaume Apollinaire ne cache guère son<br />

admiration pour cet art : « La gaucherie émerveillée et minutieuse de l’art primitif qui règne<br />

ici a de quoi toucher ceux mêmes qui n’ont pas la foi. Il y a là des tableaux de tout genre, le<br />

portrait seul n’y a point de place. Tous les envois sont exposés à perpétuité… »<br />

Mais cette féerie s’arrête soudain, dès qu’ils doivent représenter ce qu’ils n’ont pas vu<br />

de leurs propres yeux, ou plutôt dès qu’ils commencent à reproduire ce que leur apprennent<br />

les images religieuses : je veux dire la représentation de la Vierge. Elle est toujours<br />

conventionnelle, c'est-à-dire copiée. En quelque sorte collée. En somme, c’est la seule<br />

intrusion de l’Église dans ces tableaux qui pourraient être païens. Autrement, ces images ne<br />

diffèrent en rien des milliers d’autres images qui se créaient et se créent encore dans toutes les<br />

villes et dans tous les villages de France et que l’on trouvait autrefois, il n’y a pas si<br />

longtemps encore, aux « Puces ».<br />

On les aurait confondu avec des centaines et des milliers de ces images qui ne valaient<br />

rien, ou presque, avant que la vogue et le goût du jour ne les aient rapidement raréfiées. Là<br />

aussi le peintre était ému par quelque chose en les peignant. Il était ému par la pourpre du<br />

couchant, par le bleu calme et laiteux d’une rivière, par la saveur dorée d’un fruit. S’il croyait<br />

au ciel ou s’il n’y croyait pas, son miracle était là, pourtant, quotidien ; banal, soit, mais qui le<br />

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