anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
poil de l’art soi-sisant « moderne », qui le fut, certes, mais qui en l’est plus. On a assez de<br />
ruines. On n’en veut plus. Fini tout cela, fini. Terminé pour un bon bout de temps. Il ne nous<br />
reste plus que l’acceptation de cette vie, puisque nous n’en aurons pas d’autres.<br />
Ainsi, à l’endroit même où l’art plusieurs fois séculaire fut mis à mort ; ici, sur cette<br />
terre sacrée de Montparnasse d’hier, et qui sait, de demain, ont apparu, grâce à Hélion, les<br />
ébauches, les premiers contours du Nouveau Monde, ou de cette nouvelle réalité, si l’on<br />
préfère, dont parlait quelques fois Apollinaire, sans savoir au juste ce qu’elle serait. Il ne<br />
comprenait pas grand-chose à la peinture, c’est évident, mais il l’avait devinée, en voyant, en<br />
poète. N’a-t-il pas conseillé à Picasso de revenir à Le Nain ?<br />
De toute façon, telle qu’elle est et telle qu’elle sera, même si tout le monde se trompe,<br />
Hélion y compris, elle n’aura rien à voir avec un certain réalisme de commande, en<br />
technicolor. Elle sera une perpétuelle découverte, une quête ardente, semblable à celle des<br />
primitifs, et non une copie servile, ou elle ne sera pas.<br />
Aussi, comme par hasard, c’est presque à l’endroit même où Hélion a planté son<br />
chevalet pour peindre cette première toile vraiment réaliste, sur le motif, que débute un roman<br />
de Léo Malet : Les Rats de Montsouris. Aux abords de la rue Blottière, pour être précis.<br />
La dernière fois, dit notamment Mallet, que j’avais entendu parler de la rue de la Blottière,<br />
c’était en 1938. On y avait découvert trois morceaux de viande impropre à la consommation,<br />
que le jovial D r Paul, dans son coquet Institut médico-légal du bord de la Seine, avait<br />
identifiés comme étant le tronc, le bras droit et la cuisse gauche d’une vieille femme, n’ayant<br />
plus sa tête à elle. A l’époque, c’était tout à fait le genre d’endroit fait sur mesure pour la<br />
pratique de cet art si délicat du dépeçage humain. Depuis, ça s’est amélioré (je parle rayon<br />
urbanisme) bien que quelques vestiges du pittoresque d’antan subsistent. La maison où<br />
demeurait Ferrand, par exemple. C’était bien la masure sordide, annoncée par le locataire<br />
dégoûté. Haute de deux étages bas de plafond, plongée dans le sommeil ou une attente<br />
équivoque, sa façade lépreuse prenant vue sur un chantier abandonné et son arrière sur la<br />
voie ferrée de la gare aux marchandises, elle défiait, entre autres lois, celle de l’équilibre. En<br />
dépit des arcs-boutants goudronnés qui la flanquaient, elle ne paraissait pas devoir résister<br />
des masses au moindre coup de vent un peu violent. Entre les madriers et le pied du mur<br />
qu’ils soutenaient, passait un de ces fourrés de végétation vénéneuse que l’on trouve plus<br />
particulièrement dans les terrains vagues de la zone, un bel échantillon dont je ne vous dis<br />
que ça, de ces plantes éternellement poussiéreuses, malsaines d’aspect autant que d’odeur.<br />
Un de ces antiques becs de gaz en voie de disparition, vraiment à gaz, et à la potence<br />
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