27.10.2014 Views

anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

principalement dans un conflit permanent entre l’image-reflet le plus précis de ce qui nous<br />

entoure, et le miroir du tableau déformé-déformant, qui est un grimoire en même temps,<br />

chargé inévitablement de sentiments, de sensations et de passions passagères que cet œil<br />

unique du nouveau Cyclope, impersonnel, minéral et froid, dépasse et corrige à présent, sa<br />

marge d’erreurs étant et de loin, moins grande que celle de notre nerf optique ordinaire. Donc<br />

des assauts répétés entre l’objectif et le subjectif. Entre le cerveau et le cœur. Entre le réalisme<br />

et la poésie. Entre la mécanique et la main. Entre la viduité de la chambre noire et les nuits<br />

habitées. Entre l’infaillibilité du robot et les égarements de nos âmes. D’où leurs fréquents<br />

mariages et divorces, fidélités et trahisons réciproques, concubinages et ménages quelquefois<br />

heureux, faisant beaucoup d’enfants…<br />

Mais qu’est-ce que la photographie, à la fin, si ce n’est l’ultime avatar d’une chimère<br />

engendrée à l’aube de la Renaissance, une idée fixe de vouloir et de pouvoir connaître le plus<br />

exactement possible la position de l’homme par rapport à son univers et se concrétisant<br />

surtout dans une quête ardente des lois de la perspective et, corrélativement, des proportions<br />

existantes entre les personnages, les objets et l’espace environnant que la vieille camera<br />

obscura dévoilait déjà depuis longtemps, mais faute de la technologie appropriée, se révélait<br />

impuissante à les fixer sur le champ ? Léonard de Vinci la connaissait dès 1490 ; Gerolamo<br />

Cardano et Daniele Barbaro l’ont perfectionnée au XVI e siècle en y ajoutant des lentilles et le<br />

savant jésuite allemand, Athanasius Kircher l’a promenée, vers 1640, à travers tout son pays.<br />

Guardi et Canaletto en usaient plus souvent qu’à leur tour. Aussi, c’est encore grâce à elle que<br />

Vermeer a pu mener à bien sa « Vue de Delft », parce que, assis au bord de la Schie, à 400<br />

mètres environ de la ville, jamais, au grand jamais, il n’aurait pu l’embrasser de cette façon,<br />

dans sa totalité et créer ainsi le premier tableau vraiment moderne et l’un des plus beaux<br />

tableaux de tous les temps. Pour Marcel Proust, obnubilé par le mystère de son « petit mur<br />

jaune », Vermeer restera « à jamais inconnu », mais ceux qui sont au courant de l’amitié qui<br />

le liait à l’opticien Anthonie Lee Wenbroeck, connu par ses recherches poussées dans cette<br />

branche de la physique, trouveront normal que cette conjonction exceptionnelle du savoir et<br />

de l’émotivité à parte égales, sinon de la raison et du cœur, ait pu produire cette espèce de<br />

vision idéale. Beaucoup l’ont cherchée, peu l’ont trouvée, c’est certain. A tel point qu’un<br />

dénommé Andrea del Cioni, né à Florence en 1436 et mort en 1488, peintre, sculpteur, orfèvre<br />

et auteur du Colleone de Venise, prît le pseudonyme de Verrocchio ou verro occhio, “l’œil<br />

juste” en italien, synonyme de “l’oreille juste” comme on le dit pour les musiciens. Bref, de<br />

cet œil absolu, abandonné non sans regret à la photographie.<br />

248

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!