anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
machines et le bruit l’assourdit. « On n’a plus la tête à ça », dit-il amèrement. Aussi les<br />
bouteilles, les belles bouteilles bien transparentes, c’est-à-dire sans bulles et sans fond massif<br />
déformant deviennent de plus en plus rares. J’ai pu assister, grâce à lui, à la mise en bouteille<br />
d’un de ces charmants voiliers en miniature et j’ai pu me rendre compte de l’ingéniosité et de<br />
l’adresse qu’il faut déployer pour cela. Quelquefois, pour les personnes qu’il aime bien, il y<br />
ajoute, à l’intérieur de la bouteille, tout le phare et ses bâtiments.<br />
Son chef-d’œuvre est néanmoins son grand voilier, de cinquante centimètres environ,<br />
taillé entièrement dans l’os, d’une minutie et finesse incroyables. Même les tout petites<br />
poulies, il les a sculptées et percées à la loupe. Une pièce que l’on ne refait pas deux fois dans<br />
sa vie. Son exécution lui a demandé plusieurs années. Il est normal, alors, qu’elle ne sera<br />
jamais vendue. A aucun prix. Elle reste et restera dans la famille. Sa fille aînée en héritera<br />
sans doute, tout comme on héritait jadis des portraits des ancêtres.<br />
Ainsi va la vie. Toujours est-il, qu’avec ces deux derniers artistes-artisans qui savaient<br />
embellir le métier de la mer, le rendre à la fois désirable et poétique s’éteindra à tout jamais,<br />
du moins à Belle-Ile, cette race autrefois si vivace. C’est dommage. Et nous non plus, nous<br />
n’entendrons plus jamais les souvenirs de leurs longs et lointains voyages s’irradier, s’égrener<br />
à voix basse de leurs œuvres, exactement comme on entend s’enfler la mer au fond des<br />
coquillages. Une époque est terminée, c’est un fait. Un art est révolu, c’est certain. Sachons<br />
seulement lui réserver la place qu’il mérite, et de droit.<br />
S’il est relativement aisé de délimiter les frontières de la Peinture Naïve, il est, par contre,<br />
assez difficile de dire où commence et où finit la Sculpture Naïve. Elle a existé de tous les<br />
temps. Son nom est légion. Tout homme est un sculpteur naïf qui s’ignore lorsqu’il pétrit<br />
entre ses doigts la mie de pain à table, ou lorsqu’il triture les billets et les tickets dans<br />
l’autobus et le métro. Le seul fait de ramasser les racines ou les galets sur une plage dénote<br />
déjà une velléité de sculpter. Nous verrons, un peu plus loin, pourquoi. Mais cette velléité-là<br />
ne commence à se réaliser, à se matérialiser que dès l’instant où l’individu en question sort<br />
son couteau et le met à la gorge d’une branche de chêne, par exemple. Ce qui est arrivé,<br />
d’ailleurs, à M. Frédéric Séron, du temps où il n’était pas encore boulanger, mais simple<br />
gardien de troupeau. Au bout de deux ans de travail, à raison de huit heures par jour environ,<br />
cette branche est devenue une chaîne, tout d’une pièce, mobile, richement ornée de motifs<br />
décoratifs. C’est probablement la première sculpture mobile ; après celle d’Alphonse Allais,<br />
bien sûr, mais avant, bien avant les « mobiles » de Calder.<br />
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