anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
thaumaturges pouvant nommer les choses et les donner à voir pour la première fois. De là,<br />
quoi de plus normal à ce qu’ils ne peignent pas selon les règles édictées par les chambres<br />
noires, mais avec des yeux venus Dieu sait d’où, de quelle nuit obscure que l’Ecclésiaste<br />
nommait les yeux de l’âme !<br />
Shakespeare attachait, semble-t-il, une attention vigilante à cette part divine qui nous habite<br />
par intermittence, que ce soit cette « voix » mystérieuse qui visitent inopinément les femmes<br />
siciliennes, se mettant à chanter tout d’un coup, à la tombée de la nuit, des mélopées<br />
envoûtantes, délirantes, dans des registres mozarabes oubliés depuis longtemps, ou bien ces<br />
pinceaux surgis des contes de fées qui changent et transverbèrent tout ce qui nous entoure en<br />
une féerie soudain toute neuve ; la preuve, c’est que par la bouche de Portia, il insiste sur<br />
l’importance de cette musique personnelle, de cette chanson à nulle autre pareille que chacun<br />
de nous doit posséder selon lui, Malheur à celui qui ne l’entend pas ! conclut-il, en guise<br />
d’avertissement.<br />
Toujours est-il, et quoiqu’on dise et quoiqu’on fasse, ce don existe et il est bien plus répandu<br />
qu’on ne le croyait jusqu’à ces derniers temps. Qui sait si chacun de nous ne le porte pas<br />
caché dans quelque coin bleu de son cœur ? Vous toutes et tous ? Pourquoi pas… Tout est<br />
possible… Bien que n’est pas naïf qui veut. On l’est ou on ne l’est pas. Cela ne s’apprend et<br />
ne s’imite pas. Tentez votre chance, si le cœur vous en dit. On ne sait jamais… Vous n’avez<br />
qu’à relire ce passage où Antoine de Saint-Exupéry décrivait le navrant spectacle des<br />
émigrants polonais, en attente dans une gare, flanquée de leurs enfants faméliques, aux yeux<br />
dépourvus de toute lueur d’espoir, et en qui il voyait, cependant, des possibles Beethoven, des<br />
Tolstoï et des Mozart que l’on assassine…<br />
Enfin, le Douanier Rousseau n’avouait-il pas, pour sa part : Ce n’est pas moi qui peins. C’est<br />
quelque chose au bout de ma main…<br />
Dans ce sens, ce « quelque chose » ne fait que révéler, au sens photographique du terme, des<br />
images encore invisibles, baignées dans les profondes ténèbres de nos inconscients, où les<br />
mesures du temps et de l’espace se trouvent abolies, et où le réel et l’irréel, le passé et le<br />
présent, ici et ailleurs se confondent dans une heureuse et si merveilleuse unité. Il faut si peu<br />
de chose parfois, et voici que les pierres, les prés, la verdure, les rivières tendent leurs bras au<br />
soleil, les couleurs s’embrassent et s’embrassent, et l’air vivifiant, encore non pollué, passe à<br />
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