anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
populaire. A son heure. A l’heure où l’on a plus que jamais besoin de lui : de lui et de<br />
quelques autres de la même trempe qui sont appelés, qu’on le veuille ou non, à réinventer une<br />
fois de plus ce miroir où le visible se mire depuis qu’il existe, et remplacer, définitivement<br />
cette fois, les éclats de cet autre miroir brisé, qui porte le nom suranné d’Art moderne.<br />
Or moi qui ai connu tant de peintres naïfs, des bons et des mauvais, des vrais et des<br />
faux, des sincères, des roublards, des butés, des fins, des intelligents, des bêtes, des illuminés,<br />
des copistes et des véritables créateurs, et qui ai écrit sur eux, depuis cette première plaquette,<br />
une dizaine de bouquins, sans compter une centaine de préfaces, eh bien, je n’ai jamais<br />
éprouvé, je l’avoue, autant d’appréhension, autant de difficultés et de scrupules, qu’au<br />
moment où je me suis décidé d’aborder le cas Perrenoud. Peut-être parce que Perrenoud est<br />
un bloc. Un tout. Un et indivisible. On ne peut pas le séparer de son art, de son métier, de ses<br />
vers et de ses écrits. Lorsqu’il donne son amitié, c’est pour la vie, et elle est inconditionnelle,<br />
aime-t-il à répéter. Personne ne possède le feu sacré au même degré que lui, allant jusqu’à<br />
l’abnégation la plus totale, jusqu’à l’ascèse et le sacrifice. Il l’a prouvé, du reste, plus d’une<br />
fois. Devant les nazis, entre autres. Aussi, peu d’épreuves et de misères lui ont-elles été<br />
épargnées. Toujours est-il que devant les créations de Perrenoud, on se trouve devant la<br />
jeunesse et la genèse d’un monde. Absolument à l’état pur. Sans malice et sans tricherie<br />
aucune.<br />
Adieu jasmin, jasmin du temps… s’est écrié jadis le poète Guillaume Apollinaire…<br />
C’est pourquoi, en regardant Perrenoud pétrir, un après-midi, de sa main nue, noueuse,<br />
sans couteau, sans pinceau, bref sans aucun outil approprié, la joue en relief du portrait de sa<br />
fille, puis à la voir s’animer progressivement, le sang affluer sous la peau, et la peau se tendre<br />
à l’endroit de la pommette, j’ai revu, en l’espace de quelques secondes, comme par<br />
enchantement, ma propre jeunesse ; et c’est après avoir aspiré une forte bouffée de son jasmin<br />
que je raconte ce que je n’ai jamais encore raconté jusqu’ici ?<br />
J’ai revu, en effet, cette ville lointaine et secrète aux cent clochers, où le gothique<br />
continue, comme si de rien n’était, le gothique flamboyant : l’horloge du quartier juif qui<br />
marque les heures à l’envers, la ruelle des alchimistes, tout en haut du Hradschin. Je me suis<br />
souvenu soudain, et de l’inexplicable présence du portrait de Rousseau, et de ce Golem,<br />
homme artificiel, en glaise, à qui un rabbin savant de l’endroit, magicien à ses heures, réussit<br />
à insuffler la vie. Et j’ai compris beaucoup mieux ce que c’est que le sortilège de l’art !<br />
Car l’art est avant tout le pouvoir de donner la vie. C’est pourquoi aussi, parmi tant de<br />
faiseurs et de cuisiniers de toutes sortes qui sévissent à l’heure qu’il est, ce sont encore les<br />
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