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anatole jakovsky (1907/1909 ? – 1983) - Bibliothèque Kandinsky

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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />

Spectateur naïf et crédule, venu des quatre points cardinaux, fuis-les ! Va vers l’ouest, vers<br />

l’est, vers le sud, vers le nord ; fuis-les, spectateur tremblant d’angoisse.<br />

Fais le compte de tes nuits et de tes jours sans perdre un instant ; compare tes yeux aux leurs,<br />

tu verras bien, ils ont oublié le jour. Ils ont les pupilles renversées, enfouies dans les lobes<br />

crâniens, ils sont plongés dans l’amère substance de la pensée.<br />

Détourne tes pas rapidement de l’asphalte nocif, tes semelles sont déjà englouties par sa<br />

masse tiède et mouvante. Tu ne les entends plus résonner et c’est encore plus pénible que la<br />

perte de ton ombre.<br />

Fuis-les, te dis-je. Moi, je me grise du noir.<br />

Je chante ce silence immortel qui gravite autour de ma tête sans déplier les ailes.<br />

Je voudrais t’étrangler, quand même, avec une main bizarre, osseuse et raide, la main d’un<br />

cadavre agitée par une roue dentée.<br />

Je voudrais éteindre la pâle lumière, placée à l’extrémité du sexe imberbe, une bougie qui<br />

approche de sa fin écarlate éclairant timidement les pénombres de la chair. Chair féminine qui<br />

ne laisse apparaître qu’une trace de cire éperdue, transparente et nacrée, halo de tout désir.<br />

Répandant une odeur de musc, d’encens, de brûlure et de feuilles automnales. Vous<br />

m’apparûtes sur la crête d’une vague mourante d’insomnie. Oh, belles, douces épaves.<br />

Vous m’apparûtes, il y a bien longtemps, accompagnées de la sensation immaculée de la<br />

mort, de cette sensation sombre, réfrigérante, exténuante, ouverte sur la même page que son<br />

illustration fidèle et complète, le squelette humain qui se dessine et blanchit en permanence à<br />

travers toute création d’aujourd’hui, devant ces ossements véritables et concrets, devant cette<br />

vision débile, persistante, obsédante de la mort qui approche chaque instant, de la mort omniprésente<br />

se profilant surtout derrière les buissons de rideaux blanchissant davantage les nuits<br />

qui vieillissent sans sommeil ; nous sommes sans destination, sans destin. Désormais, parmi<br />

toutes les étoiles, nous préférons celles qui tombent. On revient irrésistiblement et toujours à<br />

ce symbole, à ce squelette inoubliable qui inaugure et domine la confusion profonde<br />

d’aujourd’hui, à la sensation nette que l’on obtient facilement au bord de la mer en touchant<br />

avec une main avide les seins froids d’une amie endormie, froids comme l’eau insaisissable<br />

qui s’évapore si vite et devient presque immatérielle comme l’ombre du verre ; de même sous<br />

le soleil battant de midi, sur la plage dévorée par le manque d’air et qui transforme<br />

instantanément ces seins en vertèbres détachées et sèches, jaunes et incandescentes comme le<br />

reste, comme le sable brûlant, assoiffé. On revient involontairement et toujours à cette<br />

confusion la plus profonde et la plus désolante qui approche facilement des zones les plus<br />

éloignées de temps et d’espace, qui fait toujours penser à ce ruisseau matinal, scintillant, irisé,<br />

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