anatole jakovsky (1907/1909 ? â 1983) - Bibliothèque Kandinsky
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La trajectoire d’un critique d’art au XXe siècle.<br />
Delacroix : « La science est presque toujours fatale à l’artiste, les moyens de rendre<br />
avec facilité l’entraînent à la manière. Les écoles n’enseignent guère autre chose. Une poignée<br />
d’inspiration naïve est préférable à tout. »<br />
Ingres : « Gardez toujours cette bienheureuse naïveté, cette charmante ignorance… »<br />
De là, à l’état d’esprit de Baudelaire et de Rimbaud, poètes cette fois, il n’y avait plus<br />
qu’un pas à faire, et il fut vite franchi. A « je suis venu chercher asile dans l’impeccable<br />
naïveté » de Baudelaire, répondait parfaitement : « j’aimais les peintures idiotes, dessus de<br />
portes, décors de saltimbanque, enseignes, enluminures populaires » de Rimbaud !<br />
Partout, lorsque le monde change de mains et son reflet de miroir, lorsque le passé et<br />
le présent, en attendant le futur, s’affrontent dans une lutte sans merci, on éprouve soudain un<br />
impérieux besoin d’un bain de Jouvence, on aspire à un art direct, primitif, des premiers âges<br />
de l’homme, sans que les règles, les canons et les conventions de toutes sortes ne prennent le<br />
pas sur la spontanéité, la sincérité, la franchise, sur le vrai, en un mot. Nous y sommes… Plus<br />
que jamais !<br />
Quant à l’avenir de cette inguérissable et immémoriale blessure qui saigne et qui vous<br />
force par tous les moyens, même quand il n’y en a point, à sortir de vous-même et essayer<br />
d’appréhender, coûte que coûte, à l’aide des couleurs et des pinceaux ce qui vous tourmente,<br />
il n’est pas dans les asiles, non plus, selon le vœu de quelques-uns. On ne le soignera ni avec<br />
les électrochocs ni avec la chimiothérapie. Non. Ça, c’est la chasse gardée de l’art Brut, très à<br />
la mode actuellement, soutenu par une publicité admirablement orchestrée, mais où le mot<br />
« Art » est le plus souvent de trop. En effet, il y a une sacrée distance entre les vrais bons naïfs<br />
et les Célestine, les Aloyse et les autres Anaïs. Leur nom est légion. Là où la fiche clinique,<br />
ou la feuille de la levée d’écrou, à la rigueur comptent bien plus que tout ce que la peinture<br />
représentait jusqu’ici. Il fallait être totalement ignare, tout à fait en dehors de la question pour<br />
pouvoir écrire ce qui suit : « La relève de l’art naïf, c’est plutôt l’art brut qui la prend, et plus<br />
précisément l’art des psychopathes, névrosés, paranoïaques, schizophrènes, dont les<br />
productions révélatrices répondent mieux aux interrogations angoissées de notre temps. »<br />
C’est écrit, cependant. Ce qui veut dire, en clair, que toutes les merveilles des cœurs purs et<br />
des mains sans tache, conçues et réalisées par de speintres tels que Rousseau, Rabuzin,<br />
Séraphine, O’Brady, Generalič, Micheline Boyadjian, pour ne nommer que ceux-là, doivent<br />
céder tôt ou tard leur place à des gribouillages informes, fruits de quelque psyché malade, de<br />
quelque cerveau blessé à mort. Là encore, c’est comme si on comparait le plumage d’un<br />
oiseau vivant de paradis à un veau à deux têtes, conservé dans du formol. On croit rêver,<br />
certes, on se frotte les yeux, mais si, c’est écrit, c’est même publié, et ça vaut bien son pesant<br />
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