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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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120<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

crissement <strong>de</strong>s insectes qui dévorent, les plaintes <strong>de</strong> la matière qui se ronge elle-même, avec<br />

délectation, avec désespoir. 232<br />

La même inquiétu<strong>de</strong> est exprimée lorsque, <strong>dans</strong> La Folie Céladon, <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong><br />

évoque la Vienne <strong>de</strong> 1922 :<br />

Des palais dévastés, <strong>de</strong>s jardins à l’abandon, et partout cette <strong>dans</strong>e macabre d’une société qui<br />

coule comme le sable d’un sablier, une galopa<strong>de</strong> folle d’êtres livrés à la curée, qui ne sentent plus<br />

sous eux aucun sol stable, et qui vacillent désespérément au rythme <strong>de</strong> l’écroulement d’un mon<strong>de</strong>.<br />

(FC, 166-167)<br />

<strong>Le</strong>s différents motifs <strong>de</strong>scriptifs <strong>de</strong> ce passage peuvent être rapprochés <strong>de</strong> bon<br />

nombre <strong>de</strong> thèmes qui apparaissent <strong>dans</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s romans : les « jardins à<br />

l’abandon » font penser au jardin <strong>de</strong> Château d’ombres, la société qui « coule comme le<br />

sable » rappelle La Ville <strong>de</strong> sable, l’absence <strong>de</strong> « sol stable » évoque la disparition sous les<br />

eaux <strong>de</strong> la ville d’Algues. <strong>Le</strong> fou aux mille fontaines <strong>dans</strong> La Fête <strong>de</strong> la Tour <strong>de</strong>s Âmes<br />

détruit sa <strong>de</strong>meure qui <strong>de</strong>vient un palais dévasté. La « <strong>dans</strong>e macabre » peut être<br />

rapprochée <strong>de</strong> celle qui est décrite <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Château <strong>de</strong> la princesse Ilse. Cela montre à<br />

quel point le thème <strong>de</strong> l’ « écroulement d’un mon<strong>de</strong> » est présent <strong>dans</strong> l’ensemble <strong>de</strong><br />

l’œuvre. <strong>Le</strong> pré du grand songe sera perdu, le cirque Aislinn, le pavillon rococo où Palling<br />

a trouvé refuge <strong>dans</strong> L’Enchanteur, ainsi que les écuries du baron Frantz au chapitre XIII<br />

<strong>de</strong>s Vaines Montagnes sont détruits par le feu.<br />

Ce thème <strong>de</strong> l’écroulement s’accompagne <strong>de</strong> nostalgie. Vienne décrite <strong>dans</strong> La<br />

Folie Céladon, c’est aussi probablement la ville où Wenzel, un <strong>de</strong>s voyageurs <strong>de</strong> Nous<br />

avons traversé la montagne a passé son enfance, et il revoit les jardins <strong>de</strong> cette ville avant<br />

<strong>de</strong> mourir (chapitre 7). Pour <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, Vienne est la ville où se déploie avant 1914 une<br />

véritable douceur <strong>de</strong> vivre. C’est durant la première déca<strong>de</strong> du XX e siècle une <strong>de</strong>s capitales<br />

les plus hautement civilisées d’Europe, un chef d’œuvre <strong>de</strong> civilisation, grâce à cette fusion<br />

qui s’y est faite du mon<strong>de</strong> germanique, du mon<strong>de</strong> slave et du mon<strong>de</strong> latin, grâce aussi à<br />

l’importance qu’y prennent l’art, la musique (celle que tente d’apprendre Wenzel), le<br />

théâtre. Vienne constitue une sorte <strong>de</strong> petit univers à part, décrit <strong>dans</strong> la musique <strong>de</strong><br />

Schubert, les comédies d’Arthur Schnitzler et <strong>dans</strong> les opérettes, où se manifeste un<br />

mélange d’inquiétu<strong>de</strong> et d’insouciance. On jouit <strong>de</strong> la vie avec hâte <strong>dans</strong> la mesure où on la<br />

sent menacée. Après la guerre, cette société, la Vienne où se sont exprimés Trakl, Rilke,<br />

Hofmannsthal, Richard Strauss est rejetée <strong>dans</strong> les lointains <strong>de</strong> l’histoire.<br />

Sur la foi d’un vieux gui<strong>de</strong> <strong>de</strong> voyage, le narrateur part visiter la Folie Céladon,<br />

petit pavillon rococo où Mozart lui-même a joué enfant. Il apprend que le pavillon a brûlé<br />

232 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, <strong>Le</strong>onor Fini, J.J. Pauvert, 1955, non paginé. Voir illustration 5.

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