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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

<strong>de</strong>s blocs qui s’apprêtent à l’engloutir 450 . C’est le spectacle d’une tragédie, d’un naufrage<br />

humain. <strong>Le</strong> titre du tableau montre que la défaite n’est pas seulement matérielle. <strong>Le</strong> navire<br />

<strong>de</strong>vient l’homme lui-même livré au découragement et à la mélancolie. <strong>Le</strong>s peintures<br />

ouvertes, au contraire, proposent un départ vers la lumière du soleil ou <strong>de</strong> la lune, et vers<br />

les lointains. Elles donnent lieu à une confrontation <strong>de</strong> l’homme et d’un l’univers « vers<br />

lequel tend son désir douloureux » 451 .<br />

Sur le plan littéraire, <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> décèle la présence <strong>de</strong> cette alternance <strong>dans</strong><br />

l’œuvre <strong>de</strong> Hugo von Hofmannsthal, et en particulier <strong>dans</strong> le Conte <strong>de</strong> la 672 e nuit que<br />

nous avons déjà rencontré. Au début <strong>de</strong> l’histoire, le Fils <strong>de</strong> Marchand quitte le jardin où il<br />

a été heureux :<br />

À partir <strong>de</strong> maintenant, l’ouvert lui sera plein <strong>de</strong> périls, et le clos se révélera une prison <strong>de</strong> plus en<br />

plus exiguë, le chemin même <strong>de</strong> l’évasion le poussant directement, inéluctablement <strong>dans</strong> un autre<br />

cachot. L’alternative <strong>de</strong> l’ouvert et du clos ne peut à aucun moment lui donner l’illusion ou<br />

l’espoir <strong>de</strong> la liberté, puisque c’est toujours un chemin enserré entre <strong>de</strong>s murs. 452<br />

<strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> retrouve cette notion <strong>de</strong> l’ouvert <strong>dans</strong> les oeuvres <strong>de</strong> poètes pour<br />

lesquels il avait une prédilection, tels que Rainer Maria Rilke (l’ « ouvert » est en effet un<br />

<strong>de</strong>s principaux thèmes <strong>de</strong>s Sonnets à Orphée et <strong>de</strong>s Élégies <strong>de</strong> Duino 453 ) et Höl<strong>de</strong>rlin 454 ,<br />

cité en épigraphe <strong>de</strong> Nous avons traversé la montagne. « Ici ce que nous sommes, un dieu<br />

là-bas peut le parfaire <strong>dans</strong> l’harmonie et la grâce éternelle et la paix » désigne un vaste<br />

mouvement vers l’Ouvert.<br />

<strong>Le</strong> <strong>fantastique</strong> <strong>de</strong> l’enfermement installe <strong>de</strong>s lieux clos qui semble enserrer le ou<br />

les personnages, le retenir prisonnier, livré aux forces surnaturelles, et génère inquiétu<strong>de</strong> et<br />

angoisse. On assiste donc à une contraction <strong>de</strong> l’espace. Ces lieux clos peuvent être un<br />

édifice, maison, jardin, ville si nous entrons <strong>dans</strong> un labyrinthe architectural, un élément <strong>de</strong><br />

paysage, grotte, forêt, montagne, ou encore un véhicule en mouvement, burchiello, train.<br />

L’homme du train <strong>de</strong> La Fête <strong>de</strong> la Tour <strong>de</strong>s Âmes n’a aucun moyen d’action, aucun<br />

450 Voir illustration 20.<br />

451 Ibid., p.166.<br />

452 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, L’Allemagne romantique, le voyage initiatique, tome 2, op. cit., p.248.<br />

453 Ceci est confirmé par Jean-François Angelloz, à propos <strong>de</strong> l’Elégie IV. Il écrit : « Beaucoup d’hommes<br />

ont accepté l’existence banale, fabriquée en série, qui est celle du <strong>dans</strong>eur-bourgeois. Ils sont <strong>dans</strong> l’erreur ;<br />

ils tournent le dos à l’ « ouvert » et se contentent à trop bon compte d’une existence qui ne fut pas faite pour<br />

eux ». <strong>Le</strong> terme apparaît <strong>dans</strong> la huitième élégie :<br />

Mit allen Augen sieht die Kreatur<br />

Das Offene<br />

(De tous ses yeux la créature voit l’Ouvert). Rilke, <strong>Le</strong>s Élégies <strong>de</strong> Duino, <strong>Le</strong>s Sonnets à Orphée, Paris,<br />

Éditions Aubier Montaigne, 1943, p.85.<br />

454 L’Ouvert (das Offene) apparaît en particulier <strong>dans</strong> le poème « L’excursion à la campagne, à Landauer »,<br />

<strong>dans</strong> Höl<strong>de</strong>rlin, poèmes, Paris, Aubier Montaigne, 1943, p.325 : « Komm ! ins Offene, Freund ! », traduit par<br />

« viens, sortons <strong>de</strong> la ville, ami ». Une traduction plus exacte serait : Viens ! Vers l’Ouvert, ami !

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