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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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C. LA RHÉTORIQUE DE L’INQUIÉTUDE.<br />

1. Exprimer « l’indicible ».<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

À propos du <strong>fantastique</strong>, Jean Bellemin-Noël parle d’une « rhétorique <strong>de</strong><br />

l’indicible » qui repose, dit-il, « sur un écart par rapport à l’usage, (…) apporte <strong>de</strong>s moyens<br />

<strong>de</strong> dire à tout prix ce qui ne se laisse pas formuler <strong>dans</strong> une langue déjà convenue » 259 .<br />

Nous parlerons, au sujet <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, <strong>de</strong> rhétorique <strong>de</strong> l’inquiétu<strong>de</strong>. <strong>Le</strong>s<br />

narrateurs en effet expriment une inquiétu<strong>de</strong> permanente. Une instabilité profon<strong>de</strong> les<br />

caractérise, propre aux esprits insatisfaits, tendus par une nostalgie permanente, à ceux qui<br />

se sentent toujours « sur le départ », s’apprêtent à plier bagage vers un ailleurs mal défini,<br />

toujours prêts à s’engager <strong>dans</strong> les aventures surnaturelles. L’inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong>vient vite<br />

malaise, peur lorsqu’il y a confrontation avec l’inexplicable. <strong>Le</strong> récit <strong>fantastique</strong> pose alors<br />

un problème difficile à résoudre. Il s’agit d’exprimer ce qui est inattendu, incroyable,<br />

inouï. Comment exprimer cet « indicible » ? De quels éléments dispose le narrateur pour<br />

décrire la manifestation <strong>de</strong> l’irréel ? L’écriture est une difficulté pour celui qui doit<br />

rapporter les événements auxquels il a été confronté, faire admettre l’existence <strong>de</strong> ce qui a<br />

été confusément perçu, inaccessible à ceux qui n’ont pas la même attention, la même<br />

disponibilité, la même capacité d’écoute ou la même qualité d’âme. Dans <strong>Le</strong> Journal du<br />

visiteur, le narrateur, reçu par ses amis, est le seul qui donne une place à l’irréel. Pour faire<br />

voir l’invisible et faire entendre l’inaudible, il dispose <strong>de</strong> sa plume et <strong>de</strong>s différents moyens<br />

qu’elle offre.<br />

Dans bon nombre <strong>de</strong> romans, les narrateurs intercalent <strong>dans</strong> leurs récits <strong>de</strong>s<br />

remarques qui tentent d’exprimer leur difficulté à dire et à écrire. Une <strong>de</strong>s principales<br />

difficultés est liée à la remémoration. <strong>Le</strong> narrateur du Journal du visiteur doit revenir en<br />

arrière « pour renouer la chronique <strong>de</strong>s événements » (JV, 119) qu’il a vécus et faire<br />

comprendre les changements, voire bouleversements que cela a provoqué <strong>dans</strong> son<br />

existence. Lors <strong>de</strong> ce retour en arrière, il s’agit <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong> fixer <strong>de</strong>s images incertaines que<br />

la mémoire risque <strong>de</strong> perdre. <strong>Le</strong> narrateur est confronté à un « emmêlement », compose un<br />

récit qui se dit « décousu » (JV, 184). <strong>Le</strong> lecteur constate le retour <strong>de</strong> la métaphore du tissu.<br />

L’écrivain doit sans cesse reconstituer les « fils brisés » du récit (VM, 34), en reconstituer<br />

les « fils épars » (A, 35), tenter aussi <strong>de</strong> retrouver et <strong>de</strong> décrire les sensations et les<br />

259 Jean Bellemin-Noël, <strong>dans</strong> « Des formes <strong>fantastique</strong>s aux thèmes fantasmatiques », Littératures, numéro 2,<br />

mai 1971, p.112.

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