27.12.2013 Views

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

126<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

281). Cette « réalité » <strong>de</strong> la mer s’affirme au fil <strong>de</strong>s pages, la mer dévoile sa nature<br />

profon<strong>de</strong> d’entité guerrière :<br />

(…) cette eau vi<strong>de</strong> est une eau guerrière, armée pour le combat, délestée <strong>de</strong> tous les impedimenta<br />

<strong>de</strong> la grâce, <strong>de</strong> la beauté. Une eau nue, au front militaire, aux muscles <strong>de</strong> lutteur. (A, 283)<br />

La métaphore guerrière se poursuit et se développe. L’eau est « agressive,<br />

arrogante, dure <strong>de</strong> toute l’austérité d’un soldat prussien », « hostile », « impatiente <strong>de</strong><br />

vaincre et d’occuper le pays conquis ». L’ « armée qui s’avance » (A, 296) met en péril la<br />

collection d’algues d’Olovsen, envahie par <strong>de</strong>s adversaires « monstrueux », crabes,<br />

« algues cannibales » qui se nourrissent <strong>de</strong>s autres algues délicates, « agents <strong>de</strong> cette<br />

volonté méchante et néfaste qui assiège cette ville » (A, 289).<br />

L’eau guerrière est un « élément nocturne », terme intéressant parce qu’il ouvre<br />

les perspectives d’un véritable territoire. <strong>Le</strong> nocturne n’est pas ici simplement l’espace<br />

abandonné par la clarté du jour. C’est autre chose : un principe venu <strong>de</strong>s vieilles<br />

mythologies, une force agissante, une force <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction, l’envers mal connu <strong>de</strong>s forces<br />

qui habitent le mon<strong>de</strong>.<br />

Cette agression est une offensive « intelligente » contre la civilisation, elle ne<br />

saurait être aveugle. Nous retrouvons <strong>dans</strong> le roman Sur les falaises <strong>de</strong> marbre <strong>de</strong> Ernst<br />

Jünger, cette métaphore <strong>de</strong> l’eau <strong>de</strong>structrice : « Lorsque la marée <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction<br />

commença <strong>de</strong> monter vers les falaises <strong>de</strong> marbre (…) », et <strong>de</strong> la force nocturne : « Puis la<br />

nuit monta, baignant la terre d’une lueur verte, comme venue <strong>de</strong>s grottes » 234 . Chez Jünger<br />

il s’agit aussi d’une entreprise orchestrée en vue <strong>de</strong> détruire une civilisation brillante. L’eau<br />

s’en prend aux édifices <strong>de</strong> la ville, à la bibliothèque, à la cathédrale, aux lieux donc qui<br />

symbolisent une mémoire collective, et c’est une véritable « stratégie qui conduit la guerre<br />

menée contre la ville ». Algue et le narrateur se réfugient <strong>dans</strong> le grenier d’une maison. Ce<br />

lieu élevé est le <strong>de</strong>rnier espace investi par les eaux, mais c’est aussi symboliquement le<br />

lieu <strong>de</strong> la mémoire et <strong>de</strong> la nostalgie, <strong>de</strong> « cette intraitable mélancolie qui s’empare <strong>de</strong> nous<br />

au souvenir <strong>de</strong>s temps heureux » 235 .<br />

<strong>Le</strong> <strong>fantastique</strong> offre une mise en scène <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> <strong>de</strong>struction toujours prêtes à<br />

investir le mon<strong>de</strong>. <strong>Le</strong> recours aux métaphores du vent, du désert ou <strong>de</strong> l’eau permet un<br />

retour vers les anxiétés originelles <strong>de</strong> l’homme. L’inquiétu<strong>de</strong> historique <strong>de</strong>vient une<br />

inquiétu<strong>de</strong> plus fondamentale. Il y a <strong>dans</strong> les romans <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> une volonté<br />

d’installer le récit <strong>dans</strong> une permanence. <strong>Le</strong>s choses ne sont pas considérées comme <strong>de</strong>s<br />

234 Ernst Jünger, Sur les falaises <strong>de</strong> marbre, L’Imaginaire Gallimard, 1942, p.91, 119.<br />

235 Ibid., p.9

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!