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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

assez courte, puisqu’il s’agit d’une journée d’arrière-saison, et déjà menacée par la nuit :<br />

« En cette saison <strong>de</strong> l’année, le crépuscule approche très tôt. La nuit presse la déroute du<br />

jour, tant elle est impatiente <strong>de</strong> faire retomber son court empire sur la terre » (FTA, 209).<br />

<strong>Le</strong>s passagers arrivent au moment où elle <strong>de</strong>vient toute puissante : « La nuit tombait<br />

lorsque le fleuve ayant fait un cou<strong>de</strong> brusque, nous aperçûmes au loin le village <strong>de</strong> la Tour<br />

<strong>de</strong>s Âmes, sa haute église et les flammes qui prolongeaient la pointe <strong>de</strong> son clocher »<br />

(FTA, 229). <strong>Le</strong> changement <strong>de</strong> direction du fleuve s’accompagne d’un changement <strong>de</strong><br />

décor. La lumière est contrastée alors qu’apparaît une autre source lumineuse, et elle<br />

préfigure l’ensemble <strong>de</strong>s effets qui jalonnent la fin du roman. <strong>Le</strong> village a connu un jour <strong>de</strong><br />

fête qui a été l’occasion d’une « liesse populaire », avec feu d’artifice et tirs forains. La<br />

nuit venue, la foire « jette son <strong>de</strong>rnier éclat, les vivants se sont épuisés à s’y divertir,<br />

sachant bien que dès le soleil couché ils doivent cé<strong>de</strong>r la place aux … comment dirai-je …<br />

aux morts » (FTA, 231). <strong>Le</strong>s orgues mécaniques répètent leurs <strong>de</strong>rnières fanfares. <strong>Le</strong>s<br />

marchands ferment leurs fenêtres et leurs maisons. <strong>Le</strong> village est vi<strong>de</strong> et silencieux. La nuit<br />

favorise, non plus un <strong>fantastique</strong> sonore, mais un <strong>fantastique</strong> du silence, du vi<strong>de</strong>, et <strong>de</strong> la<br />

crainte :<br />

Cette foire morte, toutes baraques closes, toutes lumières éteintes, s’éteignant aussi les relents <strong>de</strong><br />

crêpes et <strong>de</strong> vin qui faisaient aux cabarets une atmosphère massive, compacte, qu’il fallait écarter<br />

<strong>de</strong> la main et du bras pour sortir, et qu’on retrouvait encore <strong>dans</strong> les rues, rampant comme un gaz<br />

lourd au niveau <strong>de</strong>s genoux, faisait plus peur qu’un cimetière. (…). Du fleuve encalminé, comme<br />

disent les gens <strong>de</strong> mer, montait une brume pesante, impénétrable à la lumière, qui sentait le<br />

poisson pourri et l’eau s’ennoircissait <strong>dans</strong> cette nuit sans lune. (FTA, 233-234)<br />

<strong>Le</strong> mot « relent » mérite quelque attention. À l’origine, il désigne une substance<br />

ayant mauvais goût à la suite d’un séjour <strong>dans</strong> un lieu clos et humi<strong>de</strong>, ayant été enfermée<br />

pendant trop longtemps. <strong>Le</strong> préfixe « re » marque un retour en arrière, à un état antérieur,<br />

et en même temps une répétition, un mouvement en sens contraire qui détruit ce qui a été<br />

fait. « <strong>Le</strong>nt », du latin lentus, possè<strong>de</strong> le sens ancien <strong>de</strong> visqueux, humi<strong>de</strong>, moite. L’idée <strong>de</strong><br />

base est celle <strong>de</strong> mollesse. Ceci n’est pas sans rappeler le voyage lent et mou qui vient <strong>de</strong><br />

se dérouler en burchiello, <strong>dans</strong> une atmosphère d’humidité et <strong>de</strong> délabrement. De nos<br />

jours, le mot a gardé le sens <strong>de</strong> mauvaise o<strong>de</strong>ur. Au sens figuré, c’est la trace déplaisante<br />

<strong>de</strong> quelque chose qui persiste. Ce qui <strong>de</strong>meure, c’est la mort et l’atmosphère qu’elle<br />

génère. Loin d’être un principe abstrait, elle s’apparente à un être rampant qui possè<strong>de</strong><br />

matérialité et pesanteur, capable <strong>de</strong> se déplacer <strong>dans</strong> les rues comme un gaz méphitique.<br />

Elle fait plus peur encore qu’un cimetière <strong>dans</strong> la mesure où elle n’est plus circonscrite<br />

<strong>dans</strong> l’espace qui lui est normalement imparti. La brume « pesante » est elle aussi restée<br />

trop longtemps contenue. Elle envahit le paysage comme principe opposé à la lumière. La

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