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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

par-<strong>de</strong>ssus le vi<strong>de</strong>, ou l’escala<strong>de</strong> d’une face lisse, à pic et sans prises » 237 . Ce danger est<br />

d’autant plus grand que le vi<strong>de</strong> montagneux n’apparaît pas comme une notion abstraite,<br />

intellectuelle, mais comme quelque chose <strong>de</strong> concret, en relation avec <strong>de</strong>s sensations<br />

incontestables.<br />

La perception du fantôme, qui ordinairement doit rester invisible, signifie un<br />

phénomène <strong>de</strong> diminution, voire d’abolition <strong>de</strong> la distance. Dans <strong>Le</strong> Journal du visiteur, la<br />

distance ne cesse <strong>de</strong> se réduire. Personnages vivants et fantômes ne fréquentent pas les<br />

mêmes dimensions, mais ils se rapprochent, le fantôme parvenant à trouver (ré)incarnation.<br />

D’où peut-il bien trouver cette substance ? La réponse n’est pas donnée. Mais la distance<br />

s’abolit. Il est intéressant d’étudier comment le corps d’Adélaï<strong>de</strong> <strong>de</strong>s Hêtres trouve<br />

matière, comment elle prend corps et entre en communication avec le visiteur. Adélaï<strong>de</strong> se<br />

manifeste d’abord par un craquement d’escalier, le bruit que fait « cette lente <strong>de</strong>scente <strong>de</strong><br />

quelqu’un qui n’était pas là » (JV, 17), puis à nouveau par un bruit lorsque le narrateur est<br />

assis sous la charmille <strong>dans</strong> le jardin : « Un bruit si difficilement perceptible (…) un bruit<br />

<strong>de</strong> pas (…) un promeneur invisible, intouchable. » (JV, 66). <strong>Le</strong> gain <strong>de</strong> présence physique<br />

passe par les sensations du narrateur qui utilise <strong>de</strong>s expressions telles que « j’ai éprouvé »,<br />

« j’ai senti », « j’ai entendu », « j’ai vu », « j’ai éprouvé le poids, la percée, le regard <strong>de</strong> ses<br />

yeux invisibles », « ce fut alors comme si je saisissais son bras : son bras invisible,<br />

infiniment hors <strong>de</strong> portée <strong>de</strong> ma main » (JV, 107). L’évocation <strong>de</strong> parties du corps est<br />

complétée par une allusion à la tenue vestimentaire : « J’ai entendu ces pas glissant sur les<br />

feuilles mortes et sur le gravier <strong>de</strong> l’allée, et le frôlement <strong>de</strong> la longue robe qui entraînait<br />

les feuilles… » (JV, 109). La matérialité reste très incertaine :<br />

Certes, quand je dis corps en parlant <strong>de</strong> l’être qui marchait lentement vers moi, j’apprécie mal sa<br />

matérialité. Ce corps semblait être une apparence plutôt qu’une substance réelle. Ses contours<br />

avaient quelque chose <strong>de</strong> flou, d’incertain et je n’aurais pas ou juger <strong>de</strong> quel tissu était faite cette<br />

robe d’amazone noire. (JV, 110)<br />

La distance est encore marquée par l’incertitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s contours, la difficulté<br />

d’appréciation d’un volume, <strong>de</strong> la matière dont est faite la robe. <strong>Le</strong> coloris noir est absence<br />

<strong>de</strong> couleur. L’évi<strong>de</strong>nce d’une présence est donnée ensuite par le mouvement : « Elle<br />

continuait son chemin (…) sa démarche était calme (…) quand elle est arrivée (…) elle a<br />

disparu. J’ai vite reconnu sa sombre silhouette marchant à travers l’obscurité <strong>de</strong>s arbres »<br />

(JV, 117).<br />

237 Ibid. p.9. Cela rappelle L’Être et le néant <strong>de</strong> Sartre, cité <strong>dans</strong> Art <strong>fantastique</strong>, p.38 : « <strong>Le</strong> vi<strong>de</strong> autour <strong>de</strong><br />

lui, ce sont <strong>de</strong>s promesses <strong>de</strong> chutes, d’éboulis, d’avalanches… », et une autre citation du peintre E. Munch :<br />

« Mon chemin a toujours côtoyé un abîme. » (p.105)

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