27.12.2013 Views

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

178<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

annonciateur <strong>de</strong> <strong>fantastique</strong>. Cette ivresse grandit et se transforme un peu plus loin en<br />

« joie féerique, émerveillée et intimidée » (ACF, 16). <strong>Le</strong> len<strong>de</strong>main, jour où il pense<br />

reprendre son travail lui paraît « infiniment lointain ».<br />

Adalbert apparaît comme un personnage ambigu, ainsi que nous le révèlent ces<br />

lignes :<br />

Il exagérait son mécontentement comme il le faisait chaque fois qu’il n’était pas tout à fait<br />

d’accord avec lui-même, et comme pour jouer un rôle, car au creux le plus secret <strong>de</strong> lui-même il<br />

était heureux et il aurait probablement souhaité que cette marche ne s’achevât jamais : pas avant le<br />

matin, en tout cas ; et encore ! Avec une sorte d’autorité brutale, comme s’il savait quelles<br />

résistances puissantes il aurait à vaincre, il se commanda <strong>de</strong> rebrousser chemin et <strong>de</strong> revenir vers<br />

la ville : en route il retrouverait bien le sentier qui montait vers la maison blanche. Et pourtant<br />

quelqu’un en lui protestait et contestait ce <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> retour, quelqu’un pour qui la forêt n’était pas<br />

hostile, mais seulement enchantement et ravissement. (ACF, 17)<br />

L’idée <strong>de</strong> conflit est à relever. D’un côté, il y a celui qui est inquiet et regrette son<br />

geste, <strong>de</strong> l’autre celui qui est « heureux », sensible aux charmes <strong>de</strong> la forêt et ne souhaite<br />

pas revenir. Cet autre personnage trouve <strong>de</strong>meure « au cœur le plus secret <strong>de</strong> lui-même »,<br />

expression qui ouvre un espace <strong>dans</strong> l’intériorité du personnage, met en avant l’image du<br />

creux, approfondie par le superlatif. <strong>Le</strong> conflit est assez aigu, comme le montrent les mots<br />

« autorité », « résistance », les adjectifs « brutale », « puissantes », « hostile », les verbes<br />

« vaincre », « commanda », « protestait », « contestait ». Il s’agit là d’un vocabulaire<br />

guerrier. <strong>Le</strong> lecteur remarque la présence du pronom indéfini « quelqu’un », mot répété,<br />

qui révèle la présence d’un double. Ce double intervient à nouveau plus tard <strong>dans</strong> le roman,<br />

lorsque <strong>de</strong> la musique retentit <strong>dans</strong> le parc où Adalbert continue <strong>de</strong> diriger ses pas : « La<br />

musique seule, à laquelle il n’avait pas fait attention, qu’il n’écoutait pas mais que<br />

quelqu’un en lui-même avait perçue sans en avertir ses sens et sa raison, avait pris<br />

possession <strong>de</strong> lui (…) » (ACF, 76). <strong>Le</strong> « quelqu’un », mot mis cette fois en italique, a<br />

visiblement pris le <strong>de</strong>ssus et pris les choses en main.<br />

Cette figure du double est un <strong>de</strong>s grands thèmes <strong>de</strong> la littérature <strong>fantastique</strong>, et<br />

connaît une gran<strong>de</strong> fortune <strong>dans</strong> le lyrisme romantique. <strong>Le</strong> terme, forgé par Jean-Paul<br />

Richter en 1796 <strong>dans</strong> son roman Siebenkäs, est celui <strong>de</strong> « Doppelgänger » qui signifie :<br />

celui qui marche à côté, le compagnon <strong>de</strong> route. Jean-Paul Richter ouvre la voie à toute une<br />

galerie <strong>de</strong> doubles qui vont venir hanter les œuvres littéraires à venir. Il s’agit, dit Nicole<br />

Fernan<strong>de</strong>z-Bravo, <strong>de</strong> l’ « expérience d’un sujet » qui se voit lui-même 321 . Elle montre que<br />

la longue histoire <strong>de</strong>s doubles s’écrit à travers <strong>de</strong> multiples œuvres parmi lesquelles le<br />

321 Nicole Fernan<strong>de</strong>z-Bravo, <strong>dans</strong> le Dictionnaire <strong>de</strong>s mythes littéraires, op. cit., p.492.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!