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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

cette frontière est floue. Elle est d’abord assez nette au début <strong>de</strong> Château d’ombres,<br />

puisque le narrateur franchit un pont gardé par <strong>de</strong>s lions <strong>de</strong> pierre, un mur, une porte, mais<br />

les limites du jardin, par la suite ne sont jamais trouvées ni clairement définies. Un espace<br />

comparable à celui <strong>de</strong> tous les jours se révèle autre, vaste, mouvant, <strong>de</strong> la nature du<br />

brouillard.<br />

<strong>Le</strong> jardin est d’autre part le règne <strong>de</strong>s allées sinueuses, <strong>de</strong>s chemins tournants, <strong>de</strong>s<br />

carrefours. C’est un espace égarant où la progression est longue, difficile. <strong>Le</strong> narrateur est<br />

placé au cœur d’un labyrinthe dont la logique ne lui apparaît pas complètement même<br />

lorsqu’il a la possibilité <strong>de</strong> monter <strong>dans</strong> une tour et <strong>de</strong> contempler le jardin d’en haut.<br />

<strong>Le</strong> jardin <strong>de</strong> Château d’ombres est un lieu <strong>de</strong> spectacle, un espace <strong>de</strong><br />

représentation, au même titre qu’un théâtre, ou une baraque <strong>de</strong> foire ou une ville <strong>de</strong><br />

carnaval. Et surtout, il est saturé, comme la maison <strong>fantastique</strong>, <strong>de</strong> passé, rempli <strong>de</strong><br />

souvenirs, frappé <strong>de</strong> malédiction. C’est le lieu <strong>de</strong> résurrection d’un passé problématique, <strong>de</strong><br />

répétition d’un événement originel catastrophique, marqué par la présence d’âmes en peine<br />

qui continuent à hanter le présent. <strong>Le</strong> temps n’y est plus le même, ne s’inscrit plus <strong>dans</strong> la<br />

linéarité.<br />

Attardons-nous <strong>dans</strong> le jardin <strong>de</strong> Château d’ombres. Parmi les diverses<br />

constructions ménagées <strong>dans</strong> le parc, le narrateur découvre une grotte artificielle,<br />

comparable à celles que l’on aménageait autrefois du XVI e au XVIII e siècle :<br />

La grotte s’ouvrait <strong>dans</strong> un mur rocheux, formé <strong>de</strong> blocs cyclopéens qu’on eût dit jetés les uns sur<br />

les autres par la fureur d’un cataclysme. De lour<strong>de</strong>s larmes <strong>de</strong> basaltes décoraient ce mur, imitant<br />

<strong>de</strong>s stalagtites, et, pour reproduire jusqu’aux caprices <strong>de</strong> la nature qui donnent parfois à celles-ci<br />

une forme vaguement humaine, <strong>de</strong>s atlantes noirs s’appuyaient contre les rochers, semblant les<br />

porter sur leurs épaules ou fléchir sous leur poids. Entre les <strong>de</strong>ux plus gran<strong>de</strong>s <strong>de</strong> ces statues,<br />

l’entrée <strong>de</strong> la grotte s’ouvrait. (CO, 61)<br />

<strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> nous donne <strong>dans</strong> Art <strong>fantastique</strong> <strong>de</strong>s éléments intéressants<br />

d’interprétation. Cette grotte suscite l’étonnement. Elle est symboliquement <strong>dans</strong> les<br />

jardins rococo « le lieu souterrain, obscur, mystérieux, où habitent les Mères, le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

origines où toute vie s’élabore <strong>dans</strong> le silence et les ténèbres (…) ». Elle amène le visiteur<br />

« à prendre pour vivant ce qui est inerte et à douter <strong>de</strong> la réalité <strong>de</strong>s personnages vivants ».<br />

<strong>Le</strong>s atlantes sont là pour créer « une atmosphère solennelle et mystérieuse » 550 . Dès le<br />

début <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription, l’allusion aux cyclopes nous place <strong>dans</strong> un contexte antique, ce qui<br />

crée un dépaysement spatial et temporel. Ce qui est important, c’est l’interchangeabilité<br />

<strong>de</strong>s formes, la confusion qui s’établit entre mon<strong>de</strong> vivant et mon<strong>de</strong> minéral. Cette première<br />

550 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, Art <strong>fantastique</strong>, op. cit., p.148.

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