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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

apparaît <strong>de</strong> manière énigmatique comme un meneur <strong>de</strong> jeu. Elle est elle-même immobile et<br />

silencieuse, mais son immobilité est immédiatement contredite :<br />

Il n’osait parler (…) et une certaine angoisse lui venait aussi, née <strong>de</strong> l’immobilité <strong>de</strong> cette femme<br />

et <strong>de</strong> cette connivence qui pouvait exister entre elle et le serpent : où donc allaient-ils ensemble,<br />

portés par la même somnolence au creux <strong>de</strong> laquelle une vigilance brillait pareille à une petite<br />

lumière au fond d’une grotte ? (ACF, 140-141)<br />

Loin <strong>de</strong> partager l’angoisse d’Adalbert, elle s’amuse à agiter son ombrelle pour<br />

inciter le serpent à s’enfuir. L’inquiétu<strong>de</strong> d’Adalbert vient moins <strong>de</strong> la présence du serpent<br />

que <strong>de</strong> cette parenté mystérieuse qui unit la femme et le serpent.<br />

<strong>Le</strong> serpent appartient au symbolisme antique. Se glissant <strong>dans</strong> les ténèbres, il<br />

apparaît comme un intermédiaire, le messager entre le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s morts et le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

vivants. Il est à la fois le signe <strong>de</strong> la mort, au même titre que <strong>dans</strong> d’autres romans l’arbre<br />

mort ou la figure carnavalesque <strong>de</strong> Pulcinella, et aussi animal détenteur d’une connaissance<br />

inaccessible aux hommes. Appartenant au mon<strong>de</strong> souterrain, il désigne les territoires<br />

infernaux, et cette « connivence » entre le serpent et la jeune femme laisse entendre qu’elle<br />

appartient comme lui au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la surface <strong>de</strong> la terre, et à un autre univers, vers lequel<br />

elle emmène Adalbert. Plus loin <strong>dans</strong> le roman, elle <strong>de</strong>vient l’incarnation même <strong>de</strong><br />

Perséphone :<br />

Votre mère ! Déméter ?<br />

Qui vous a dit qu’elle s’appelait ainsi ? (…)<br />

Vous m’avez appelée Perséphone. Vous savez ce que cela signifie. (ACF, 188)<br />

Rappelons simplement l’essentiel du mythe. Hadès s’est épris <strong>de</strong> Coré, appelée<br />

plus tard Perséphone. Il enlève la jeune fille pendant qu’elle cueille <strong>de</strong>s fleurs <strong>dans</strong> un pré<br />

et l’emmène <strong>dans</strong> son royaume souterrain. Sa mère, Déméter, part à sa recherche et obtient<br />

<strong>de</strong> Zeus que sa fille lui soit rendue. Mais, durant son séjour <strong>dans</strong> l’au-<strong>de</strong>là, elle a mangé<br />

<strong>de</strong>s grains <strong>de</strong> grena<strong>de</strong>, ce qui la lie définitivement au mon<strong>de</strong> infernal. Par conséquent, Coré<br />

passe trois mois <strong>de</strong> l’année en compagnie d’Hadès et <strong>de</strong>vient reine du Tartare, avec le titre<br />

<strong>de</strong> Perséphone et les neuf autres avec Déméter 376 . Ce mythe avait pour <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> une<br />

gran<strong>de</strong> importance et une gran<strong>de</strong> signification. « Ce sont surtout les mystères d’Eleusis<br />

dont le culte actualisait <strong>de</strong> manière ésotérique la <strong>de</strong>stinée <strong>de</strong> Perséphone et <strong>de</strong> sa mère<br />

376 Déméter a été vénérée <strong>dans</strong> l’ensemble du mon<strong>de</strong> grec et a reçu un culte fervent à Athènes et à Eleusis.<br />

<strong>Le</strong>s mystères d’Eleusis sont centrés d’abord sur la question <strong>de</strong>s récoltes, et ils <strong>de</strong>viennent aussi un mythe <strong>de</strong><br />

mort et <strong>de</strong> résurrection. On distingue à Eleusis les « petits mystères » qui permettaient aux candidats <strong>de</strong><br />

recevoir les rudiments d’une initiation, et les « grands mystères » au cours <strong>de</strong>squels les initiés apprenaient<br />

comment éviter les Enfers pour aller tout droit aux Champs Elysées. Voir à ce sujet Histoire <strong>de</strong>s mœurs, tome<br />

1, encyclopédie <strong>de</strong> la Pléia<strong>de</strong>, Gallimard, 1990, p.294.

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