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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

d’expérience et <strong>de</strong> raison, pour faire place aux pressentiments, aux songes, aux monstres dont<br />

Goya dira qu’ils naissent du sommeil <strong>de</strong> la raison, aux ténèbres surtout qui favorisent la<br />

contemplation d’un autre mon<strong>de</strong>. 613<br />

Dans le domaine <strong>de</strong> la littérature, <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> porte regard sur les mystiques du<br />

XVII e siècle et en particulier sur l’œuvre d’Angelus Silesius. À propos du recueil <strong>de</strong><br />

sentences intitulé <strong>Le</strong> Voyageur chérubinique, il parle là aussi d’effets luministes :<br />

Cette impression <strong>de</strong> <strong>de</strong>mi-jour que nous donnent parfois les « lie<strong>de</strong>r » <strong>de</strong>s Saintes Joies s’est<br />

complètement dissipée. La Psyché marche <strong>dans</strong> la pleine lumière, et elle possè<strong>de</strong> enfin <strong>dans</strong> la<br />

connaissance Celui qu’elle avait désiré <strong>dans</strong> l’amour (…). Aucun lien ne rattache les uns aux<br />

autres les distiques qui, pareils à <strong>de</strong>s éclairs, illuminent tout à coup une partie <strong>de</strong> l’obscur infini. 614<br />

« <strong>Le</strong> <strong>fantastique</strong> vient à nous, écrit encore <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, <strong>dans</strong> la gran<strong>de</strong> marée <strong>de</strong><br />

la nuit. Il est entraîné, plancton phosphorescent, par les vagues sombres qui s’abattent sur<br />

l’humanité, dès qu’a disparu le soleil <strong>de</strong> l’évi<strong>de</strong>nce et <strong>de</strong> la raison » 615 . La nuit est<br />

fréquente <strong>dans</strong> la littérature <strong>fantastique</strong>, et il n’est guère étonnant que Charles Grivel<br />

intitule un <strong>de</strong>s paragraphes <strong>de</strong> son étu<strong>de</strong> Fantastique-fiction « Il fait toujours nuit » 616 . La<br />

nuit est favorable à l’émergence du surnaturel. <strong>Le</strong> <strong>fantastique</strong> aime se révéler durant les<br />

Escales <strong>de</strong> la haute nuit, titre d’un <strong>de</strong>s recueils <strong>de</strong> contes <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>. Dans les titres<br />

<strong>de</strong>s romans, le mot nuit n’apparaît pas. Il laisse la place à l’ombre, <strong>dans</strong> Château d’ombres,<br />

et <strong>dans</strong> L’Ombre d’un arbre mort. La nuit y est présente <strong>de</strong> manière plus indirecte et peutêtre<br />

plus inquiétante aussi, <strong>dans</strong> sa capacité <strong>de</strong> progression, et le mot ombre possè<strong>de</strong><br />

l’avantage d’une plus gran<strong>de</strong> ambiguïté. Elle peut être l’ombre portée d’un arbre mort,<br />

d’un objet, ou d’un être qui se promène <strong>dans</strong> un chemin creux, autant qu’une créature issue<br />

d’un autre temps, ou un habitant errant <strong>dans</strong> les souterrains <strong>de</strong> l’Hadès. « Nous dirons<br />

qu’il faut <strong>de</strong> l’ombre », dit Charles Grivel : « Une tour, un souterrain, une caverne, une<br />

forêt, un <strong>de</strong>ssous presque quelconque fournissent la pénombre nécessaire au surgissement<br />

<strong>de</strong> la forme inquiétante. Un bon lieu est donc par définition pénombreux. Nous nous y<br />

trouvons la nuit, le soir » 617 .<br />

<strong>Le</strong>s personnages <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, nous l’avons vu, aiment la nuit, associée au<br />

rêve et à l’irrationnel, opposée à la puissance normalisante du jour. L’intrusion du<br />

<strong>fantastique</strong> a lieu à la faveur <strong>de</strong> l’obscurité montante, et c’est souvent l’instant où tout<br />

613 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, Titien, Paris, Somogy, 1971, p.228.<br />

614 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, <strong>dans</strong> Une nouvelle psychologie du langage, « Un poète mystique Angelus Silesius », Paris,<br />

Plon, 1927, p.292-293. <strong>Le</strong> texte est repris <strong>dans</strong> Orplid, op. cit.,p. 1 à 17. À propos <strong>de</strong>s mystiques allemands<br />

du XVII e siècle et <strong>de</strong> leur prose flamboyante, on pourra consulter Bernard Gorceix, Flambée et agonie, op.<br />

cit.<br />

615 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, « Hommage au <strong>fantastique</strong> », <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Jardin <strong>de</strong>s arts, Paris, août 1957, p.582.<br />

616 Charles Grivel, Fantastique-fiction, Paris, P.U.F., 1992, p.120.<br />

617 Ibid., p.45.

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