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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

n’avais jamais rien entendu <strong>de</strong> pareil. Ou, du moins, si cette musique suscitait quelque rappel <strong>dans</strong><br />

ma mémoire, ce <strong>de</strong>vait être un souvenir très ancien, car je ne savais plus à quelle époque, en quel<br />

lieu, j’avais éprouvé une semblable extase. Du milieu <strong>de</strong>s chants, une flûte s’éleva, accrochant <strong>de</strong>s<br />

girandoles <strong>de</strong> cristal et <strong>de</strong> gouttes d’eau, à l’harmonie <strong>de</strong>s voix enfantines. Cela dura quelques<br />

secon<strong>de</strong>s à peine, puis les lampes aveuglantes se rallumèrent et l’orchestre <strong>de</strong> cuivres se mit à<br />

beugler. (E, 30)<br />

<strong>Le</strong> souvenir <strong>de</strong> cette musique perdue remonte <strong>de</strong> temps à autre durant l’ensemble<br />

du roman, et suscite une poignante mélancolie : « Que sont <strong>de</strong>venus les musiciens et les<br />

enfants chanteurs qui venaient lui tenir compagnie ? Il me semble parfois que je donnerais<br />

toute ma part <strong>de</strong> bonheur terrestre pour entendre une fois encore cet extraordinaire<br />

concert » (E, 70).<br />

Dans Château d’ombres, le flûtiste Alberto parvient à s’approcher <strong>de</strong> cette<br />

musique divine. Il entre en scène, et d’un geste prend « possession du ciel, <strong>de</strong> la nuit, <strong>de</strong><br />

l’espace, <strong>de</strong> toute la musique éparse <strong>dans</strong> l’air jusqu’aux confins du mon<strong>de</strong> » (CO, 195). La<br />

musique modifie le temps et l’espace, et permet à cet être torturé, « déçu et méchant », <strong>de</strong><br />

trouver un apaisement temporaire. Alberto parvient, à un autre moment, à faire sourire la<br />

statue du « Grand Pan » grâce à la beauté <strong>de</strong> son jeu. « Cela ne ressemblait à aucune<br />

musique connue », dit le narrateur (CO, 255). Un peuplier, détaché <strong>de</strong>s autres arbres,<br />

préservé <strong>de</strong> la maladie qui atteint les autres arbres du parc, est aussi séduit par cette<br />

musique et soumis à son sortilège. Alberto imite la mélodie divine qui enchante le mon<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> la terre et le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s dieux, mais le « Grand Pan » attend « le moment où cette<br />

exaltation, étalée en fusées multicolores, se briserait net et retomberait à terre, <strong>dans</strong> la<br />

poussière et <strong>dans</strong> la boue. Car l’homme se maintient avec peine à mi-chemin du ciel et <strong>de</strong><br />

la terre, et sa chute est toujours plus lour<strong>de</strong> que celle d’Icare ou <strong>de</strong> Phaéton » (CO, 255).<br />

La musique donne au mon<strong>de</strong> une spatialité et une temporalité infinies, et une<br />

dimension spirituelle. Une vision métaphysique s’impose, qui est une mise en scène <strong>de</strong>s<br />

périls <strong>de</strong> l’âme où interviennent les maîtres <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong> la mort, les démons et les anges.

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