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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

s’enthousiasme le narrateur (FC, 247). <strong>Le</strong> regard se fait visionnaire et le lecteur est<br />

introduit au cœur du drame.<br />

La même chose se produit <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Journal du visiteur, jalonné d’allusions à la<br />

sympathie. Au chapitre <strong>de</strong>ux, le visiteur s’en va explorer les chambres inoccupées du<br />

second étage <strong>de</strong> la maison. Il découvre <strong>dans</strong> l’une <strong>de</strong>s chambres un ensemble <strong>de</strong> tableaux<br />

appuyés au mur. Il veut « jeter un rapi<strong>de</strong> coup d’œil » à ces tableaux (JV, 31), et un portrait<br />

retient son attention :<br />

<strong>Le</strong> noble mo<strong>de</strong>lé du front haut encadré <strong>de</strong> lourds cheveux sombres, le sourire dissimulé <strong>de</strong>s lèvres,<br />

la douce ron<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s joues, la pâleur <strong>de</strong> la chair – celle <strong>de</strong> ces femmes brunes qui se protégeaient<br />

du soleil ennemi et blanchissaient encore davantage leur peau à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> subtils onguents. Une<br />

sensualité aimable et légère. Une gran<strong>de</strong> maîtrise <strong>de</strong> soi. Une fierté qui aurait été <strong>de</strong> l’arrogance si<br />

elle n’avait été tempérée par une délicate impulsion à cé<strong>de</strong>r. (JV, 33)<br />

Nous sommes là au premier niveau du regard. Il s’agit d’un regard <strong>de</strong>scripteur. La<br />

<strong>de</strong>scription évolue vers une analyse physiognomonique <strong>de</strong>s traits du visage. <strong>Le</strong> visiteur<br />

essaie <strong>de</strong> se convaincre qu’il ne peut être touché par ce portrait. Cependant, il revient <strong>dans</strong><br />

la même chambre et regar<strong>de</strong> à nouveau le tableau. Sous le visage immédiatement visible se<br />

dévoile une autre réalité. Nous sommes passés au <strong>de</strong>uxième niveau <strong>de</strong> regard :<br />

Ne vit-elle vraiment plus ? À force d’interroger ce regard, <strong>de</strong> consulter le délicat mo<strong>de</strong>lé <strong>de</strong>s joues<br />

(…) ne me suis-je pas persuadé que le mot vie, auquel nous donnons un sens arbitrairement et<br />

absur<strong>de</strong>ment étroit est capable d’exprimer autre chose, peut-être, que ce que nous entendons<br />

communément. <strong>Le</strong> langage populaire dit quelquefois qu’un portrait est « parlant » pour désigner<br />

l’apparence <strong>de</strong> vie qu’il contient. Celui-ci se tait et là est la cause <strong>de</strong> ce mélange <strong>de</strong> sympathie et<br />

<strong>de</strong> crainte que j’éprouve après l’avoir fixé pendant un temps trop long. De ce mutisme émane une<br />

force pressante, poignante qui m’empêcherait <strong>de</strong> détourner les yeux, si je ne faisais un effort<br />

chaque fois, pour le quitter et revenir au livre que je lis, à la page que je dois écrire, jusqu’à ce que<br />

mon regard <strong>de</strong> vivant aimanté par ce regard magnétique se relève une fois <strong>de</strong> plus pour<br />

s’accrocher à ce visage peint. (JV, 50-51)<br />

Il y a là une remise en cause <strong>de</strong>s frontières <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong> la mort. La relation<br />

regardant-regardé se modifie. <strong>Le</strong> visiteur prend conscience <strong>de</strong> la présence d’une force mal<br />

connue, suggérée par les mots « aimanté » et « magnétique ». <strong>Le</strong> regard représenté est<br />

capable d’une action sur le mon<strong>de</strong> réel, et <strong>de</strong>vient par son intensité un regard « faustien »,<br />

tel qu’il est défini par <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> <strong>dans</strong> Suite <strong>fantastique</strong> : « <strong>Le</strong> regard jaillit hors du<br />

tableau, prend possession du spectateur et ne le quitte pas, comble notre curiosité en<br />

contant les particularités les plus secrètes <strong>de</strong> l’homme représenté, qui est lui-même un

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