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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

se souvient d’une phrase <strong>de</strong> Caroline von Gün<strong>de</strong>ro<strong>de</strong>, qui a dit que « ce qu’elle aimait <strong>dans</strong><br />

les êtres et les choses, ce n’était pas eux-mêmes, mais « la beauté en eux » (CPI, 195) 658 .<br />

L’histoire d’Halladj est racontée à André Ar<strong>de</strong>n, <strong>dans</strong> Un Enfant <strong>de</strong> la terre et du<br />

ciel, par un mendiant <strong>de</strong> Fez, un soir où il est assis sur <strong>de</strong>s remparts en ruine. <strong>Le</strong> chant <strong>de</strong> la<br />

flûte « si étrange et si beau » <strong>de</strong>vient <strong>dans</strong> ce texte « d’une douloureuse et <strong>fantastique</strong><br />

beauté » (ETC, 294). La même histoire est rapportée <strong>dans</strong> Algues par le Musikant. Pour lui,<br />

il existe <strong>de</strong>s musiques « d’une beauté si subtilement affinée, aiguisée, et par là si<br />

déchirante que, les ayant entendues, on se sent porté aux <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> cristal <strong>de</strong> l’infini (…) »<br />

(A, 68). La « trop gran<strong>de</strong> beauté » a pour conséquence le désespoir <strong>de</strong> la savoir fragile, et la<br />

musique <strong>de</strong>vient « la longue plainte <strong>de</strong> l’âme torturée <strong>de</strong> désir et <strong>de</strong> nostalgie, et dont les<br />

délices se détruisent à l’instant même où elles s’accomplissent, et du fait <strong>de</strong> leur<br />

accomplissement » (A, 68). Dans <strong>Le</strong>s Vaines Montagnes, les amis réunis à l’Alhambra <strong>de</strong><br />

Grena<strong>de</strong> méditent sur « toutes les choses belles » qu’ils ont perdues, ce qui permet <strong>de</strong><br />

rattacher cette thématique à celle du fantôme. <strong>Le</strong> fantôme est en effet un être « qui cherche<br />

quelque chose qu’il a perdu, <strong>de</strong>s années gaspillées, <strong>de</strong>s femmes qu’il aimait, un objet qui<br />

résume pour lui « toute la beauté du mon<strong>de</strong> ». (VM, 211). Il tourne sans cesse autour <strong>de</strong><br />

cette beauté perdue, empoisonné par le « venin du désespoir », portant avec lui le regret, le<br />

sentiment <strong>de</strong> la perte <strong>de</strong> ce qui a représenté la joie et le bonheur, jusqu’à ce que, débarrassé<br />

d’un désir trop tenace, il entre à nouveau <strong>dans</strong> le jeu <strong>de</strong>s métamorphoses.<br />

À l’artiste revient la tâche d’immortaliser les beautés périssables. Ceci est peutêtre,<br />

<strong>dans</strong> le cas <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, à rapprocher d’un contexte historique difficile. Pour<br />

Clau<strong>de</strong> Mettra, <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> « manifeste une claire vision <strong>de</strong> ce que représentent les périls<br />

<strong>de</strong> l’âme ». L’artiste doit être ce magicien qui transforme les ténèbres en lumière, change la<br />

mélancolie noire en mélancolie blanche, <strong>de</strong> telle sorte que les forces <strong>de</strong>s profon<strong>de</strong>urs ne<br />

soient pas <strong>de</strong>s énergies <strong>de</strong>structrices mais <strong>de</strong>s forces inspiratrices (…) » 659 . <strong>Le</strong> passé, ainsi<br />

que le précise Cyrille <strong>dans</strong> <strong>Le</strong>s Vaines Montagnes ne doit pas tourner sur lui-même comme<br />

une eau morte :<br />

<strong>Le</strong>s eaux que l’on dit mortes sont, elles aussi, vivantes. Autrement vivantes, quoique immobiles et<br />

limitées par une berge herbue. L’agitation intérieure y entretient une vie active qui se nourrit <strong>de</strong><br />

rêves et <strong>de</strong> nostalgies. Il y a <strong>de</strong>s eaux méchantes et maléfiques, celles <strong>de</strong>s mares dont la couleur<br />

noire cache <strong>de</strong>s profon<strong>de</strong>urs inconnues où se perd l’impru<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong>s eaux qui « tournent en<br />

<strong>de</strong><strong>dans</strong> », comme on dit <strong>de</strong>s hommes que dévore une mélancolie meurtrière et qui jouent à<br />

enrouler <strong>de</strong>s spirales <strong>de</strong> courants sournois. (VM, 130)<br />

658 La phrase réapparaît <strong>dans</strong> L’Allemagne romantique, op. cit., tome 1, p.310 : « Elle a dit un jour qu’elle<br />

n’aimait pas les hommes ni les choses, seulement le Beau en eux »<br />

659 Clau<strong>de</strong> Mettra, « <strong>Le</strong> passeur du temps », <strong>dans</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, humaniste et passeur, op. cit., p.122.

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