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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

À l’intérieur du récit <strong>de</strong> rêve se produisent <strong>de</strong>s changements plus subtils. Parmi<br />

eux le changement d’éclairage. <strong>Le</strong> narrateur <strong>de</strong> Nous avons traversé la montagne entre à<br />

l’heure du plein soleil <strong>de</strong> midi <strong>dans</strong> un rêve qui le fait assister à une cérémonie nocturne.<br />

<strong>Le</strong> lecteur entre <strong>dans</strong> un univers à la fois comparable mais différent, qui comporte <strong>de</strong>s<br />

anomalies par rapport aux dispositions ordinaires du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la veille. La <strong>de</strong>scription<br />

joue alors un rôle essentiel, et le passage <strong>de</strong> la veille au rêve se fait « le plus souvent sans<br />

choc, avec la simplicité et le naturel du nageur qui entre <strong>dans</strong> la vague sans avoir quitté le<br />

contact avec la plage », et le rêveur « débouche <strong>dans</strong> un univers inconnu, dont les éléments<br />

ressemblent à ceux <strong>de</strong> l’univers familier à nos sens, mais aussi différent » 492 .<br />

Il y a cependant remise en cause <strong>de</strong>s limites, lorsque le narrateur par exemple se<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> à quel moment son rêve a véritablement commencé, à quel moment il prend fin,<br />

discrimination difficile à faire lorsque le rêve s’étale sur plusieurs séquences narratives,<br />

comme par exemple <strong>dans</strong> L’Ombre d’un arbre mort. <strong>Le</strong>s rêves se succè<strong>de</strong>nt, s’emboîtent,<br />

s’accumulent, et le rêve perd l’un <strong>de</strong> ses caractères habituels : la brièveté. <strong>Le</strong>s rêves<br />

s’enchaînent et se relancent : « Je rêvai du château, cette nuit-là (…). Je rêvai aussi que<br />

(…) et je glissai, sans m’en apercevoir, <strong>dans</strong> un autre rêve » (CO, 160-161-162). <strong>Marcel</strong><br />

<strong>Brion</strong> analyse cette mise en place <strong>de</strong> rêves emboîtés <strong>dans</strong> l’œuvre <strong>de</strong> Jean-Paul Richter et<br />

<strong>dans</strong> celle <strong>de</strong> Tieck. En particulier <strong>dans</strong> <strong>Le</strong>s Amis, Ludwig fait l’expérience du rêve à<br />

l’intérieur d’un rêve, du « rêve au second <strong>de</strong>gré » 493 . À la fin <strong>de</strong> l’histoire, le lecteur<br />

apprend que Ludwig s’est endormi tandis qu’il se rendait chez son ami mala<strong>de</strong>, et qu’il a<br />

en définitive rêvé les événements <strong>de</strong> l’épiso<strong>de</strong> au pays <strong>de</strong>s fées. Il se trouve <strong>dans</strong> la<br />

situation évoquée par le philosophe taoïste Tchouang-Tseu qui ayant rêvé qu’il était<br />

papillon se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> au réveil s’il est Tchouang-Tseu rêvant qu’il était un papillon ou un<br />

papillon rêvant qu’il est Tchouang-Tseu. Dans son analyse, <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> cite Tieck :<br />

Comme il est étrange <strong>de</strong> penser que peut-être je dors simplement, que je puis rêver que je<br />

m’endors pour la secon<strong>de</strong> fois et que j’ai un rêve <strong>dans</strong> mon rêve, et ainsi <strong>de</strong> suite à l’infini, sans<br />

que nulle force humaine puisse m’éveiller jamais. 494<br />

L’image <strong>de</strong> ces rêves emboîtés donne l’impression <strong>de</strong> l’existence d’un univers<br />

onirique sans limites. Ainsi Graham, <strong>dans</strong> Nous avons traversé la montagne, parle d’une<br />

« affolante succession <strong>de</strong> rêves » (NATM, 295), et plus loin d’une « chaîne <strong>de</strong> rêves »<br />

(NATM, 297).<br />

492 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, L’Allemagne romantique, tome 2, op. cit., p.221.<br />

493 Ibid., tome 1, p.285.<br />

494 Ibid., p.285. D’après <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, Jean-Paul était aussi attentif aux rêves à dimensions multiples, « à ces<br />

rêves au second <strong>de</strong>gré, par exemple, <strong>dans</strong> lesquels nous rêvons que nous rêvons », Ibid., tome 2, p.219.

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