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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

labyrinthe, dit <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, est l’image la plus expressive <strong>de</strong> toute l’œuvre <strong>de</strong> Joyce », et<br />

le labyrinthe y est caractérisé par le procédé du monologue intérieur. Stephen Dedalus,<br />

esprit inquiet, connaît ainsi <strong>de</strong>s « métamorphoses successives ».<br />

Pourtant, la technique d’écriture <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> n’est pas celle <strong>de</strong> Joyce. Frida<br />

S. Weissmann, <strong>dans</strong> Du monologue intérieur à la sous conversation, définit les<br />

caractéristiques principales du monologue intérieur 519 : il s’agit d’un monologue à la<br />

première personne, qui se déroule au présent, pour donner au lecteur l’illusion <strong>de</strong> l’ici et<br />

maintenant. <strong>Le</strong> manque voulu <strong>de</strong> ponctuation donne au lecteur le sentiment d’une<br />

continuité <strong>de</strong> la vie intérieure. <strong>Le</strong>s phrases ne sont pas nécessairement reliées à celles qui<br />

les précé<strong>de</strong>nt, la liaison <strong>de</strong> la pensée n’est pas assurée par une charnière grammaticale, elle<br />

se fait par liaison thématique. Cela correspond à une vision fragmentaire <strong>de</strong> la vie<br />

intérieure. On constate la présence d’interjections qui simulent les sensations <strong>de</strong> surprise,<br />

<strong>de</strong> peur ou d’inquiétu<strong>de</strong>. <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> utilise certes le monologue, mais son écriture est<br />

différente. Un passage <strong>de</strong> Nous avons traversé la montagne nous le montre aisément :<br />

J’avais treize ou quatorze ans, racontait Pilger. Mes parents m’avaient emmené en Italie. Ce<br />

voyage me ravissait, car je voyais vivre <strong>de</strong>vant moi – ou du moins croyais-je voir vivre, avec les<br />

charmantes exagérations <strong>de</strong> l’adolescence – cette Antiquité avec un grand A dont mes professeurs<br />

me nourrissaient assidûment. Je dois le confesser : (…) (NATM, 69)<br />

Un monologue assez long commence, <strong>dans</strong> lequel <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> utilise les<br />

ressources <strong>de</strong> la conjugaison, <strong>de</strong> la ponctuation. <strong>Le</strong>s enchaînements logiques sont assurés<br />

par <strong>de</strong>s charnières grammaticales. Il n’y a pas ou peu d’interjections, mais le ton adopté est<br />

celui <strong>de</strong> la confi<strong>de</strong>nce qui tente <strong>de</strong> créer une relation privilégiée avec le lecteur. <strong>Le</strong> discours<br />

évoque <strong>de</strong>s souvenirs, <strong>de</strong>s sentiments personnels, contient <strong>de</strong>s jugements et <strong>de</strong>s<br />

considérations d’ordre culturel. L’écriture nous introduit, comme le dit André Peyronie à<br />

propos <strong>de</strong> l’écriture labyrinthique <strong>dans</strong> un jeu <strong>de</strong> « concordances et <strong>de</strong> discordances », et<br />

utilise <strong>de</strong>s « mots carrefours » et <strong>de</strong>s « nœuds <strong>de</strong> symboles ».<br />

Il y a <strong>dans</strong> l’œuvre <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> une véritable fascination pour les mots. Ils<br />

sont <strong>de</strong>s passeurs, à l’origine <strong>de</strong> bien <strong>de</strong>s rêveries, <strong>de</strong>s ouvreurs <strong>de</strong> temps et d’espace. Ils<br />

sont au service d’une véritable mythologie personnelle. Une fascination pour la matière<br />

même du mot est exprimée <strong>dans</strong> Un Enfant <strong>de</strong> la terre et du ciel. André Ar<strong>de</strong>n aime jouer<br />

avec les mots, et pour lui ils possè<strong>de</strong>nt leur propre « texture » :<br />

Il ne serait point artiste s’il ne cherchait avant tout la texture du verbe, la bro<strong>de</strong>rie <strong>de</strong>s consonnes<br />

sur la trame <strong>de</strong>s voyelles, la sertissure <strong>de</strong>s syllabes, et la physionomie enfin, du mot complet avec<br />

ses surfaces lisses ou grenues, son unité plane ou sa géométrie cloisonnée. (ETC, 21)<br />

519 Frida S. Weissmann, Du monologue à la sous-conversation, Paris, Éditions Nizet, 1978.

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