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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

<strong>de</strong>s prairies d’un vert si frais et si joyeux qu’on ne pouvait résister au désir <strong>de</strong> s’y étendre <strong>de</strong> tout<br />

son long. Je faillis m’égarer, même, <strong>dans</strong> un couloir peint <strong>de</strong> fresques en trompe-l’œil qui feignait<br />

d’être une longue galerie à colonnes et à ri<strong>de</strong>aux ouvrant sur <strong>de</strong>s plaines et <strong>de</strong>s bois. (CO, 181)<br />

Ces espaces sont <strong>fantastique</strong>s lorsqu’ils manifestent une volonté, envoient un<br />

signe, exercent une tentation dangereuse, et <strong>de</strong>viennent explorables. <strong>Le</strong>s références à la<br />

peinture chinoise <strong>de</strong> l’époque <strong>de</strong>s Song sont, <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue, particulièrement<br />

intéressantes. Cette peinture s’inscrit parfaitement <strong>dans</strong> le <strong>fantastique</strong> brionien. Par rapport<br />

à la peinture occi<strong>de</strong>ntale, aux « vanités » par exemple, la peinture chinoise, beaucoup plus<br />

dynamique, offre au spectateur une perspective <strong>de</strong> mouvement à la fois physique et<br />

spirituel. Elle doit être parcourue par quelqu’un qui découvre diverses parts d’espaces et <strong>de</strong><br />

temps emboîtés, elle « combine d’une manière « raffinée l’élément temps et l’élément<br />

espace » 632 . « La contemplation d’un paysage chinois est une sorte <strong>de</strong> saut en avant,<br />

d’envol ou <strong>de</strong> plongée », affirme <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> qui reprend ici un vocabulaire, « envol »,<br />

« plongée », propre à l’esthétique baroque. D’autre part, la peinture chinoise contient l’idée<br />

<strong>de</strong> passage : « Alors que le tableau européen tend à présenter une simultanéité d’objets, le<br />

tableau chinois offre une succession <strong>de</strong> plans <strong>dans</strong> lesquels on pénètre, suivant <strong>de</strong>s<br />

transitions très subtiles (…) » 633 . Enfin, elle permet <strong>de</strong> glisser vers un au-<strong>de</strong>là. <strong>Le</strong> peintre<br />

chinois représente la montagne et ce qu’il y a <strong>de</strong>rrière les montagnes, « la vérité cachée au<strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong>s apparences » 634 . <strong>Le</strong> paysage <strong>de</strong> Nous avons traversé la montagne <strong>de</strong>vient un<br />

paysage chinois parcouru par les voyageurs qui ne cessent <strong>de</strong> franchir une succession <strong>de</strong><br />

plans et d’écrans :<br />

Vues <strong>de</strong> la plaine, ces chaînes se dépassent les unes les autres, comme <strong>de</strong>s paravents ambitieux<br />

dont le plus lointain veut être le plus haut. La qualité <strong>de</strong> l’air fait qu’elles paraissent très<br />

rapprochées les unes <strong>de</strong>s autres, presque collées l’une à l’autre, comme si un très étroit espace à<br />

peine les détachait, alors qu’il y a entre elles, nous a-t-on dit, <strong>de</strong>s vallées extraordinairement<br />

profon<strong>de</strong>s quelquefois. Comme <strong>dans</strong> les peintures chinoises nous ne pouvons qu’imaginer <strong>de</strong><br />

pareilles vallées nichées <strong>dans</strong> les creux <strong>de</strong>s pentes abruptes, mais il en faudrait davantage pour<br />

nous décourager. (NATM, 247)<br />

Adalbert se souvient, <strong>dans</strong> De l’autre coté <strong>de</strong> la forêt, d’un tel décor, alors qu’il<br />

regardait, enfant, un écran <strong>de</strong> soie brodé qui représente <strong>de</strong>s chinois se promenant <strong>dans</strong> un<br />

paysage <strong>de</strong> montagnes. L’approche <strong>de</strong> cet écran se fait selon plusieurs étapes où se<br />

632 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, <strong>Le</strong>s labyrinthes du temps, op. cit., p.360.<br />

633 Ibid., p.362.<br />

634 Nicole Vandier-Nicolas, Esthétique et peinture <strong>de</strong> paysage en Chine, Paris, Klincksieck, 1987, p.23. « <strong>Le</strong><br />

peintre (…) tracera les sentiers vers diverses directions, écrit Kouo Hi, cité par Nicole Vandier-Nicolas (p.<br />

47). « <strong>Le</strong> mérite du paysage est <strong>de</strong> s’offrir comme un champ illimité aux voyageurs <strong>de</strong> l’infini » (p. 53). Pour<br />

une étu<strong>de</strong> plus approfondie <strong>de</strong> la peinture chinoise dont nous n’abordons qu’un aspect, voir aussi Chantal<br />

Lyard, « La montagne <strong>dans</strong> la peinture chinoise », <strong>dans</strong> La montagne et ses images, Paris, Éditions du<br />

Comité <strong>de</strong>s Travaux historiques et scientifiques, 1991, p. 89 à 97.

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