27.12.2013 Views

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

212<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

indéfinissables » (ACF, 139), elle a surgi, « comme l’enfant, d’un univers magique et un<br />

peu terrifiant » (ACF, 140).<br />

L’apparition du serpent est, <strong>dans</strong> cette séquence, le point culminant du<br />

<strong>fantastique</strong> : « <strong>Le</strong> serpent était apparu <strong>de</strong>vant le « repos du Professeur Weiss » sans que<br />

rien eût annoncé son approche » (ACF, 140). C’est un moment <strong>de</strong> stupeur. L’apparition a<br />

lieu à l’heure <strong>de</strong> midi, l’heure stationnaire <strong>de</strong>s grecs, moment d’immobilité qui représente<br />

un péril, particulièrement favorable à la manifestation du « Tout Autre », inquiétant et<br />

fascinant, selon les catégories <strong>de</strong> Rudolf Otto. Des brèches peuvent alors s’ouvrir <strong>dans</strong><br />

l’espace et le temps. <strong>Le</strong> passage au plus-que-parfait « était apparu » montre la soudaineté<br />

<strong>de</strong> l’action et correspond à une mise en relief <strong>de</strong> l’événement <strong>fantastique</strong>. Cet effet est<br />

renforcé par la présence d’un blanc typographique au sein <strong>de</strong> la séquence narrative. À la<br />

suite <strong>de</strong> l’apparition du serpent, le décor change, la clairière <strong>de</strong>vient une « conque verte<br />

frangée d’arbres roses et blonds ». <strong>Le</strong> mot conque mérite attention. En <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> son sens<br />

<strong>de</strong> coquillage, il est employé par métonymie en mythologie où il désigne la trompe <strong>de</strong>s<br />

dieux marins. À l’immensité <strong>de</strong> la forêt s’associe l’infinité marine, et la clairière cesse<br />

d’être un espace plan pour <strong>de</strong>venir un espace en creux. Peu après s’ajoute à l’image <strong>de</strong> la<br />

coquille celle <strong>de</strong> la grotte. La montée <strong>de</strong> l’angoisse correspond à ce changement <strong>de</strong> décor.<br />

Adalbert ne sait d’où vient ce serpent et quelle est la cause <strong>de</strong> son apparition. L’immobilité<br />

dont il sent qu’elle pourrait se prolonger indéfiniment est associée au silence. Aucun<br />

dialogue n’a lieu au cours <strong>de</strong> cet évènement. L’énoncé au style direct est une parole<br />

qu’Adalbert ne fait que prêter à la jeune fille :<br />

D’un geste <strong>de</strong> la main gauche, elle rassura Adalbert von A. « Il me connaît et je le connais,<br />

voulait-elle dire, nous n’avons rien à craindre l’un <strong>de</strong> l’autre ; ce jeu ne nous concerne pas, ou si<br />

peu… » (ACF, 141)<br />

Ce n’est que lorsque le serpent a disparu qu’un véritable dialogue est <strong>de</strong> nouveau<br />

possible. L’atmosphère décrite est comparable à celle que l’on trouve <strong>dans</strong> les Scherzi di<br />

fantasia, gravures <strong>de</strong> Tiepolo dont <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> parle <strong>dans</strong> Art <strong>fantastique</strong> 375 . <strong>Marcel</strong><br />

<strong>Brion</strong> insiste sur cette angoisse propre aux Scherzi, qui vient d’un état d’attente, d’un<br />

suspens <strong>dans</strong> lequel les personnages sont comme pétrifiés. On pourrait parler d’un<br />

<strong>fantastique</strong> <strong>de</strong> la pétrification. <strong>Le</strong> décor présenté <strong>dans</strong> ces Scherzi, les épiso<strong>de</strong>s représentés<br />

se rapportent à <strong>de</strong>s religions païennes ou à <strong>de</strong>s rites anciens peu i<strong>de</strong>ntifiables. <strong>Le</strong> serpent y<br />

apparaît comme symbole funéraire. <strong>Le</strong> personnage <strong>de</strong> l’Oriental présent <strong>dans</strong> la plupart <strong>de</strong>s<br />

gravures et qui prési<strong>de</strong> aux rites en train <strong>de</strong> s’accomplir est remplacé par la jeune fille qui<br />

375 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, Art <strong>fantastique</strong>, op. cit.,p. 42 à 46. Voir illustration 10.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!