27.12.2013 Views

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

161<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

<strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, d’où la très intime compréhension qu’éprouvaient les <strong>de</strong>ux écrivains l’un envers<br />

l’autre. 279<br />

Cette conception rappelle celle <strong>de</strong>s écrivains majeurs du romantisme allemand, en<br />

particulier la phrase <strong>de</strong> Ludwig Tieck que <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> cite <strong>dans</strong> L’Allemagne<br />

romantique : « Tout n’est réel que jusqu’à un certain point, disait le poète qui savait<br />

combien sont fragiles et discutables tous les essais <strong>de</strong> discrimination entre le réel et<br />

l’irréel » 280 . Cette phrase <strong>de</strong> Tieck est commentée par Albert Béguin <strong>dans</strong> L’Âme<br />

romantique et le rêve, qui indique que cette incertitu<strong>de</strong> quant au mon<strong>de</strong> qui nous environne<br />

va <strong>de</strong> pair avec une incertitu<strong>de</strong> sur soi-même. <strong>Le</strong> « paysage intérieur » <strong>de</strong> l’être humain est<br />

aussi fuyant que le « paysage extérieur ». L’individu lui aussi n’est réel que jusqu’à un<br />

certain point, au-<strong>de</strong>là duquel il se connaît mal, où « rien n’est stable, rien n’est prévisible,<br />

toute chose peut <strong>de</strong>venir tout autre chose, à la faveur d’une émotion, d’un état d’âme ou<br />

d’un éclairage nouveau » 281 .<br />

Dans les romans <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, nous retrouvons <strong>de</strong>s formulations i<strong>de</strong>ntiques à<br />

celles qui peuvent être lues <strong>dans</strong> l’œuvre critique, en particulier <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Château <strong>de</strong> la<br />

princesse Ilse, où le narrateur parle <strong>de</strong> « face cachée du réel », <strong>de</strong> « verso du visible » (CPI,<br />

27), ou <strong>dans</strong> <strong>Le</strong>s Vaines Montagnes où il évoque les « faces cachées d’un univers que notre<br />

nostalgie aspire à connaître (…) » (VM, 94) 282 . Ce narrateur apparaît comme un homme qui<br />

rappelle fréquemment le caractère équivoque du réel. Il n’abandonne pas les formes du réel<br />

auxquelles il est très attaché. C’est précisément à cause <strong>de</strong> cela que l’événement<br />

<strong>fantastique</strong> gagne en crédibilité, en évi<strong>de</strong>nce et en <strong>de</strong>nsité. <strong>Le</strong>s fantômes sont intégrés à la<br />

société <strong>de</strong>s vivants, le temps et l’espace monstrueux au normal. La transition <strong>de</strong> ce côté-ci<br />

à l’ « autre côté » doit se faire comme quelque chose <strong>de</strong> naturel tant les <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s<br />

doivent apparaître proches. <strong>Le</strong> lecteur accè<strong>de</strong> au surnaturel par un changement <strong>de</strong> plan.<br />

Tout l’art <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> consiste à ouvrir <strong>de</strong>s brèches <strong>dans</strong> le réel ordinaire. Il introduit<br />

la notion très importante d’ « autre côté » souvent mise en avant au seuil <strong>de</strong>s romans 283 .<br />

Qu’est-ce que l’ « autre côté » se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> le narrateur du Château <strong>de</strong> la princesse Ilse, et<br />

279 La note se trouve <strong>dans</strong> Suite <strong>fantastique</strong>, op. cit., p.232.<br />

280 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, L’Allemagne romantique, le voyage initiatique, Tome 1, op. cit., p.245. Novalis va jusqu’à<br />

affirmer que « la poésie est le réel absolu ».<br />

281 Albert Béguin, L’Âme romantique et le rêve, Paris, Corti, 1939, p.217.<br />

282 Une distinction est faite aussi <strong>dans</strong> <strong>Le</strong> Château <strong>de</strong> la princesse Ilse entre « la réalité d’ici et la réalité <strong>de</strong> làbas<br />

», p.214.<br />

283 Quelques exemples : « La frontière du réel et du rêve, toujours si vague, était encore plus imprécise ce<br />

soir-là. On croyait s’arrêter à la lisière du songe et <strong>de</strong> la féerie alors que, <strong>de</strong>puis longtemps, on était déjà<br />

passé <strong>de</strong> l’autre côté » (VS, 9). « Nous étions donc passés <strong>de</strong> l’autre côté du temps <strong>de</strong> la même façon,<br />

imprévisible et absolue, dont l’espace ordinaire nous avait rejeté vers la promesse – ou la menace – d’une<br />

dimension inconnue <strong>de</strong> nous » (EMM, 22). Cette notion n’est pas sans rappeler le titre du roman d’Alfred<br />

Kubin, L’Autre Côté, (1909) qui nous introduit <strong>dans</strong> le royaume du rêve.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!