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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

« sons graves et doux du luth » (MG, 153). Puis il <strong>de</strong>vient plus insidieux, s’empare du luth<br />

d’Anthony Holborne 685 , qui avait été placé respectueusement <strong>dans</strong> une armoire du salon <strong>de</strong><br />

musique, et en tire une musique « équivoque et tragique » (MG, 155). <strong>Le</strong> prince lui<br />

reproche d’avoir ouvert les armoires du salon sans sa permission. Un affrontement<br />

commence au terme duquel le diable sort gagnant grâce à l’intervention d’Erik qui se met à<br />

chanter. <strong>Le</strong> luth d’Anthony Holborne lui est même offert et le vieux musicien se met à<br />

martyriser « le noble instrument en lui imposant <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>nces extravagantes » (MG, 161).<br />

Une inversion s’opère ici par rapport à l’Enfer musical <strong>de</strong> Jérôme Bosch. Dans le tableau<br />

du peintre, les personnages sont soumis à un enfer parce que les objets se révoltent et se<br />

déchaînent sur le mon<strong>de</strong>. Elles se retournent contre les hommes et les réduisent à une<br />

condition <strong>de</strong> sujets passifs 686 . Dans le roman, le diable assure son triomphe en s’emparant<br />

d’un instrument voué à la beauté et à ce que le génie musical peut « possé<strong>de</strong>r <strong>de</strong> plus haut<br />

et <strong>de</strong> plus noble » (MG, 154)<br />

À l’opposé, la musique permet la communion <strong>de</strong> l’homme avec un mon<strong>de</strong> divin.<br />

La musique est alors comparable au concert angélique représenté par Grünewald <strong>dans</strong> le<br />

Retable d’Issenheim. Grünewald transpose <strong>dans</strong> l’ordre angélique les monstres et les<br />

démons médiévaux:<br />

Certains <strong>de</strong> ces anges ne sont qu’un visage <strong>dans</strong> une collerette <strong>de</strong> plumes, une petite figure azurée,<br />

aux cheveux hérissés, gonfle ses joues pour chanter, une autre se <strong>de</strong>ssine à peine <strong>dans</strong> un<br />

poudroiement vert, une autre, toute rose, dont les ailes sont en plumes <strong>de</strong> flamant, pince une<br />

mandore.<br />

Une musique extraordinaire retentit sous cette voûte où les statues soustraites à leur statique<br />

immobilité gesticulent, où les feuillages non pas sculptés <strong>dans</strong> la pierre mais arrachés à l’arbre et<br />

qui semblent encore saigner leur sève, vivent. 687<br />

Une musique angélique retentit <strong>dans</strong> L’Enchanteur, au moment où le narrateur<br />

écoute les voix se manifestant <strong>dans</strong> la chambre d’à-côté : « Je fus bien récompensé <strong>de</strong> ma<br />

patience, car il y eut soudain une flûte, accompagnée <strong>de</strong> plusieurs sopranos aigus et amples<br />

comme ceux <strong>de</strong>s enfants châtrés, qui chanta une mélodie aérienne, sur laquelle un silence<br />

vaste et velouté tomba comme un manteau » (E, 13). Cette musique est <strong>de</strong> nouveau<br />

entendue lors <strong>de</strong> la représentation du cirque :<br />

Tout à coup une lumière chau<strong>de</strong> et douce brilla, qui ne venait d’aucun foyer visible. En même<br />

temps, sous la voûte du cirque <strong>de</strong>s chants résonnèrent, d’une pureté et d’une grâce telles que je<br />

685 Là encore voisinent un personnage fictif et un musicien ayant effectivement existé (1550-1602). Musicien<br />

anglais, Anthony Holborne, contemporain <strong>de</strong> John Dowland, a été en contact avec la cour élisabéthaine. Il<br />

nous reste <strong>de</strong> Holborne environ 150 pièces instrumentales qui comprennent <strong>de</strong>s compositions pour luth seul.<br />

686 Voir illustration 31.<br />

687 <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>, Grünewald, Paris, Plon, 1939, p.44. Voir illustration 32.

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