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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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203<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

<strong>de</strong> chaleur lui brûlait la face » (ETC, 303). Mais c’est surtout le corps <strong>de</strong> la jeune fille qui<br />

exerce une véritable fascination, et le trouble éprouvé par André <strong>de</strong>vient envoûtement :<br />

Sous la misérable robe, sale et déchirée, qui <strong>de</strong>scendait à peine jusqu’aux genoux, un corps<br />

splendi<strong>de</strong> animait ses calmes et lentes masses. Dans l’entre-bâillement du corsage mal fermé, la<br />

peau blanche brillait d’un tiè<strong>de</strong> éclat. (ETC, 303)<br />

Dans le déroulement <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription, les comparaisons se réfèrent au non<br />

humain. La jeune fille est « souple et rapi<strong>de</strong> comme un chat » (ETC, 301), et elle gar<strong>de</strong> une<br />

parenté avec le dieu Pan :<br />

La gravité tranquille <strong>de</strong> cette jeune fille suggérait la présence, contradictoire, d’une statue et d’un<br />

animal, et aussi <strong>de</strong> quelque personnage surhumain, peut-être, dont on ne pouvait dire s’il<br />

appartenait à l’ordre <strong>de</strong>s forces terrestres ou à celui <strong>de</strong>s dieux. (ETC, 303)<br />

<strong>Le</strong> texte insiste sur la nature ambiguë, intermédiaire <strong>de</strong> cet être. Chez André, la<br />

fascination éprouvée est tentation. Il a aussi la sensation d’un danger. Nous retrouvons les<br />

différents éléments du mysterium tremendum, selon les catégories <strong>de</strong> Rudolf Otto, la<br />

surprise, la fascination, la peur, signes <strong>de</strong> la présence du « Tout autre ». Estève conduit<br />

André <strong>dans</strong> une grange, pour la nuit. Derrière la cloison <strong>de</strong> planche qui délimite l’espace<br />

où il s’installe, il perçoit la présence <strong>de</strong> la jeune fille. Il est averti « d’une présence et d’un<br />

danger » (ETC, 304). L’élément sonore intervient. La jeune fille se met à chantonner, et<br />

l’intervention <strong>de</strong> la voix rend l’envoûtement encore plus efficace.<br />

La jeune fille appartient à un autre espace et un autre temps. La ferme d’Estève<br />

est située <strong>dans</strong> un lieu en marge <strong>de</strong>s lieux habituellement fréquentés. Associé à la nuit,<br />

c’est un point <strong>de</strong> contact idéal entre <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s. La fille d’Estève a une fonction<br />

intermédiaire entre le mon<strong>de</strong> réel, le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la nature sauvage qui se manifeste <strong>dans</strong> son<br />

énergie secrète et le mon<strong>de</strong> invisible <strong>de</strong>s dieux. Tentatrice, elle propose une « <strong>de</strong>scente vers<br />

les Mères le long <strong>de</strong>s chemins tournants <strong>de</strong> la terre qui suivent le lit <strong>de</strong>s fleuves souterrains,<br />

les canaux <strong>de</strong> la lave, les filons <strong>de</strong>s métaux » (ETC, 305), mon<strong>de</strong> où André ne la rejoindra<br />

pas.<br />

Lorsque, par exemple <strong>dans</strong> De l’autre côté <strong>de</strong> la forêt, le héros choisit d’aller<br />

jusqu’au bout <strong>de</strong> l’aventure, il se trouve lié aux forces <strong>de</strong> la mort, ainsi que le rappelle<br />

l’épigraphe du roman, emprunté à Jean-Paul Richter : « Je me suis entretenu avec la mort<br />

et elle m’a assuré que rien n’existe en <strong>de</strong>hors d’elle » 356 . Ce qui se manifeste alors, c’est<br />

l’association, la sororalité <strong>de</strong> la beauté et <strong>de</strong> la mort célébrée par le poète August von<br />

356 Cette phrase est citée aussi <strong>dans</strong> L’Allemagne romantique, tome 1, op. cit.,p.124.

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