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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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123<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

et les saisons, à jouir <strong>de</strong> cette harmonie construite au cours <strong>de</strong>s siècles qui va se trouver<br />

anéantie.<br />

<strong>Le</strong> vent du désert se lève, et c’est la mort <strong>de</strong> Bardouk, le conteur, qui semble être<br />

pour une part à l’origine <strong>de</strong> la catastrophe :<br />

Avec la mort <strong>de</strong> Bardouk, aussi, commença la déca<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> cette ville. Nous sentions qu’elle était<br />

prête à subir le désastre : une invasion étrangère, une terrible épidémie ou une catastrophe<br />

inconnue. <strong>Le</strong>s signes l’annonçaient. (VS, 153)<br />

<strong>Le</strong> roman nous fait entrer <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> signes qu’il s’agit <strong>de</strong> déchiffrer. Ces<br />

signes interviennent <strong>dans</strong> la vie <strong>de</strong>s personnages, sont donnés par les rencontres, le milieu<br />

naturel, les rêves. Ils sont fragmentairement communiqués, renseignent sur la face cachée<br />

du temps et <strong>de</strong> l’espace et donnent une indication sur le chemin où chacun <strong>de</strong>vrait<br />

s’avancer pour parvenir à une connaissance plus complète du mon<strong>de</strong>. Il s’agit d’un langage<br />

particulier qui ne relève pas <strong>de</strong> l’organisation rationnelle.<br />

Alors que beaucoup d’êtres <strong>de</strong>meurent sourds à ce langage, le conteur Bardouk<br />

est celui qui sait le déchiffrer et le restituer. <strong>Le</strong> conteur, personnage <strong>de</strong>s marges, possè<strong>de</strong> un<br />

œil suffisamment vif, une oreille suffisamment attentive, une sorte d’attention passionnée à<br />

la vie qui lui permet d’être sensible à ce qui circule couvert <strong>de</strong> voile. À partir <strong>de</strong> la lecture<br />

<strong>de</strong> ces signes, il peut ressentir le lien délicat qui unit les êtres humains entre eux, et ce qui<br />

les rattache à la terre et au ciel. Dans l’un <strong>de</strong>s contes qu’il propose à l’attention <strong>de</strong>s<br />

habitants <strong>de</strong> la ville, Bardouk affirme l’existence d’un « animal-terre » apparenté au mon<strong>de</strong><br />

souterrain :<br />

Ce mon<strong>de</strong> souterrain n’est d’ailleurs qu’un animal à mille replis, qui ondule, respire et souffle<br />

(…). Si l’on oublie <strong>de</strong> lui donner à boire <strong>de</strong> ce lait qui tombe du ciel, en gouttes rares et<br />

minuscules, il s’agite brusquement et provoque les cataclysmes qui détruisent les villes. (VS, .48)<br />

Ceux qui sont chargés, selon le conte <strong>de</strong> Bardouk, <strong>de</strong> donner à boire à l’animalterre,<br />

ce sont les « Fils <strong>de</strong> Étoiles » que le narrateur rencontre et qui meurent au cours <strong>de</strong><br />

son séjour <strong>dans</strong> la ville. On peut supposer que l’impossibilité d’assurer cet office est à<br />

l’origine <strong>de</strong> la catastrophe. Alors que le narrateur est mala<strong>de</strong>, il reçoit vision <strong>de</strong> cet animal :<br />

L’animal-terre bougeait lour<strong>de</strong>ment au fond <strong>de</strong> ses antres. Une boue jaune tombait du ciel. L’air<br />

était plein d’o<strong>de</strong>urs terribles et <strong>de</strong> longs frissons secouaient le sol, ouvrant <strong>de</strong> larges failles où<br />

bouillonnait un liqui<strong>de</strong> noir. (VS, 60) 233<br />

233 Cette vision d’apocalypse rappelle une aquarelle <strong>de</strong> Dürer, <strong>Le</strong> Déluge, 1525, Vienne, Albertina,<br />

commentée par <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> <strong>dans</strong> Dürer, Paris, Somogy, 1960, p.246. Il s’agit d’une vision <strong>de</strong> rêve que<br />

Dürer décrit lui-même. <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> <strong>dans</strong> son commentaire évoque cette boue qui tombe du ciel : « Dans la<br />

vision <strong>de</strong> Dürer, le déluge et une catastrophe qui n’a d’équivalent <strong>dans</strong> aucun <strong>de</strong>s cataclysmes que la terre a<br />

déjà connus : l’eau qui tombe n’est presque plus liqui<strong>de</strong> ; elle ressemblerait davantage à <strong>de</strong> la boue, à une<br />

matière pâteuse qui tomberait du ciel en rubans visqueux pour noyer l’humanité sous sa profusion

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