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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

rupture dès lors qu’il s’aventure <strong>dans</strong> une voie solitaire. À partir du moment où il <strong>de</strong>scend<br />

du train, il entre <strong>dans</strong> l’espace solitaire <strong>de</strong> la forêt, espace <strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> par excellence. La<br />

réceptivité dont il fait preuve permet d’avoir une perception particulière <strong>de</strong>s choses<br />

environnantes. Adalbert tourne la tête « vers les hôtels dont les faça<strong>de</strong>s claires avaient <strong>de</strong>s<br />

tons <strong>de</strong> nacre, <strong>de</strong> perle ou <strong>de</strong> lait » (ACF, 13). Ce lyrisme crée une sorte <strong>de</strong> mystère. Il met<br />

en évi<strong>de</strong>nce une manière hors du commun <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r le mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> son<strong>de</strong>r la réalité.<br />

Adalbert est capable <strong>de</strong> jeter sur la réalité un autre regard, <strong>de</strong> changer son angle <strong>de</strong> vision.<br />

La réalité sensible prend un statut d’apparence, traversée par une réalité qui semble plus<br />

profon<strong>de</strong> : « <strong>Le</strong> mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s arbres autour <strong>de</strong> lui se faisait plus pressent et plus obscur ».<br />

Une distinction s’établit entre l’endroit et l’envers <strong>de</strong>s choses, leur apparence, et leur sens<br />

profond, caché. Deux mon<strong>de</strong>s sont mis en présence, ordinairement conçus comme<br />

antinomiques. D’un côté le mon<strong>de</strong> tel qu’il est perçu par les sens et assumé par la raison,<br />

<strong>de</strong> l’autre un mon<strong>de</strong> dont la logique relève <strong>de</strong> la poésie, <strong>de</strong> l’imaginaire, qui se construit<br />

autour <strong>de</strong>s mêmes principes que l’univers onirique. Il s’agit <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux univers, en apparence<br />

incompatibles, mais qui sont liés l’un à l’autre, qui ne sont pas distincts à l’intérieur <strong>de</strong> la<br />

narration. C’est ce qui distingue le <strong>fantastique</strong> du réalisme, et aussi du merveilleux.<br />

L’installation d’un décor contribue à créer la Stimmung, ici celui d’une forêt où<br />

les arbres se « serrent » davantage, qui <strong>de</strong>vient, comme la nuit, plus <strong>de</strong>nse. À la faveur <strong>de</strong><br />

la nuit, elle révèle son véritable visage, celui d’une force sauvage capable <strong>de</strong> perdre et<br />

d’engloutir un être humain, qui commence « d’exhaler une humidité presque sauvage ».<br />

Cela justifie l’inquiétu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s domestiques qui atten<strong>de</strong>nt Adalbert avec une certaine<br />

angoisse, craignent qu’il ne s’égare et allument toutes les lampes <strong>de</strong> la maison.<br />

Ce décor est présenté sous un éclairage particulier. Comme <strong>dans</strong> Algues, le<br />

moment privilégié est celui <strong>de</strong> l’ « obscurité croissante ». Ensuite nous trouvons une<br />

indication temporelle : l’action se passe lors d’un « précoce crépuscule d’une fin d’hiver ».<br />

D’autres notations suivent : le quai <strong>de</strong> gare s’obscurcit, la « buée <strong>de</strong> silence » qui recouvre<br />

la gare est épaissie par le crépuscule. La lumière est contrastée. Nous avons d’un côté les<br />

faça<strong>de</strong>s claires <strong>de</strong>s hôtels, les lumières allumées par les domestiques, <strong>de</strong> l’autre la nuit qui<br />

vient et se fait <strong>de</strong> plus en plus menaçante. Durant la promena<strong>de</strong> d’Adalbert, une lumière<br />

d’une autre nature se manifeste, sur ce fond d’obscurité : « On aurait dit, à présent, que les<br />

chemins se déroulaient <strong>de</strong>vant lui, comme <strong>de</strong>s tapis clairs et vaguement phosphorescents<br />

(…) » (ACF, 17). Lorsqu’enfin il parvient à la maison, celle-ci est « illuminée comme pour<br />

une fête », puis les lampes s’éteignent <strong>de</strong>rrière lui et la gran<strong>de</strong> maison re<strong>de</strong>vient « cette<br />

masse sombre au milieu <strong>de</strong>s arbres du jardin » (ACF, 18). Une fois parvenu <strong>dans</strong> sa

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