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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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3. Une « substance spirituelle ».<br />

tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

Dans le chapitre six <strong>de</strong>s Vaines Montagnes, Florian parle <strong>de</strong> ses souvenirs<br />

d’enfance. Il se revoit <strong>dans</strong> une vieille maison, évoque un salon <strong>de</strong> musique « décoré <strong>dans</strong><br />

la manière d’un Baroque délicieusement extravagant » (VM, 72). Dans ce salon sont<br />

donnés <strong>de</strong>s concerts durant lesquels on peut écouter « un quatuor d’archets, ou à vent »,<br />

une flûte, un violon. Florian s’installe <strong>dans</strong> un « petit fauteuil à décor chinois » proche <strong>de</strong>s<br />

instruments (VM, 73). <strong>Le</strong>s jours sans concert, il y revient, s’y glisse malgré l’interdiction<br />

<strong>de</strong> ses parents, s’installe <strong>dans</strong> le silence et la solitu<strong>de</strong> pour tenter <strong>de</strong> retrouver quelque<br />

chose du bonheur éprouvé durant les concerts, et a la sensation que la musique, <strong>de</strong>venue<br />

muette, reste « en suspens », encore présente « <strong>dans</strong> les buissons fictifs <strong>de</strong>s stucs, <strong>de</strong>meurée<br />

<strong>dans</strong> l’étang pâle <strong>de</strong>s miroirs » (VM, 74). La musique est liée ici, comme <strong>dans</strong> bien d’autres<br />

cas, à une architecture particulière. L’enfant découvre qu’une « substance spirituelle,<br />

distincte <strong>de</strong> la matière <strong>de</strong>s violons et <strong>de</strong>s cors » <strong>de</strong>meure suspendue <strong>dans</strong> l’air », et poursuit<br />

Florian : « (…) j’ouvrais sans bruit la porte et avançais, respectueusement incliné, comme<br />

si je saluais un roi absent ou un Dieu invisible jusqu’à mon petit fauteuil à décor<br />

chinois… » (VM, 74).<br />

Florian accè<strong>de</strong> à un univers irréel. <strong>Le</strong> mot « spirituel » doit retenir notre attention.<br />

Cet adjectif s’emploie à l’origine <strong>dans</strong> le domaine religieux et théologique. Il qualifie ce<br />

qui appartient à la nature immatérielle <strong>de</strong> l’âme, ce qui concerne l’âme en tant que reflet<br />

d’un principe supérieur. Cette « substance spirituelle » <strong>de</strong> la musique est constamment<br />

présente <strong>dans</strong> les romans. La musique se place comme médiatrice entre les vivants et les<br />

âmes en peine.<br />

« Il y avait <strong>de</strong> la musique <strong>dans</strong> le parc », dit le narrateur <strong>de</strong> Château d’ombres<br />

(CO, 77). C’est une musique incertaine qui se confond avec la mouvance <strong>de</strong>s phénomènes<br />

naturels. Elle est comparée à une manifestation optique : elle « disparaissait et reparaissait,<br />

comme le reflet <strong>de</strong> la lune sur la mer ». <strong>Le</strong> narrateur insiste plus loin sur le côté liqui<strong>de</strong> <strong>de</strong>s<br />

sons. <strong>Le</strong> chant monte et <strong>de</strong>scend « comme un jet d’eau » (CO, 78). Cette comparaison<br />

entre le chant et le jet d’eau est fréquente chez <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong>. De même que la vision, <strong>dans</strong><br />

bien <strong>de</strong>s cas, l’audition est gênée ou empêchée, ce qui favorise l’effet d’incertitu<strong>de</strong> : « Je<br />

ne savais plus si c’était une harpe qui vibrait ou seulement le grand souffle inquiet du vent<br />

<strong>dans</strong> les arbres » (CO, 77). Une impression d’approfondissement et <strong>de</strong> lointain est créé par<br />

la subordonnée relative, <strong>dans</strong> laquelle vient s’enchâsser une infinitive : « Cette musique qui<br />

semblait avoir traversé, pour venir jusqu’à nous, d’épaisses couches d’espace et <strong>de</strong> temps,<br />

était d’une beauté douce et pathétique en même temps » (CO, 78). Une fois <strong>de</strong> plus, la

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