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Le fantastique dans l'oeuvre romanesque de Marcel Brion

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tel-00699768, version 1 - 21 May 2012<br />

emmène le narrateur sur l’îlot même où se dressait autrefois la « Folie ». Mais il met<br />

l’imagination du narrateur en mouvement, qui n’éprouve pas seulement le désir <strong>de</strong><br />

connaître un fait divers, mais soudain <strong>de</strong> la compassion, <strong>de</strong> la tendresse, et voudrait<br />

participer « <strong>de</strong> la façon la plus intense » à la « vie intérieure » <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> la tragédie<br />

(FC, 47).<br />

Carsten est peintre, et non hôtelier. Son regard est celui d’un artiste. Il s’intéresse<br />

moins à la météorologie qu’au mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’art. C’est lui qui se méfie <strong>de</strong> l’esthétique<br />

rococo, et introduit l’idée que les invités <strong>de</strong> la Folie sont <strong>de</strong>s « naufragés ». La thématique<br />

du naufrage a une valeur psychique. Chaque être humain serait <strong>dans</strong> cette optique à sa<br />

manière un bateau dont la coque est plus ou moins soli<strong>de</strong> qui s’est adonné à <strong>de</strong>s eaux trop<br />

fortes pour lui ou qui a reçu un choc si violent qu’il n’a pu y résister. Clairenore est ainsi<br />

un <strong>de</strong> ces êtres « qui sont toujours prêts à couler à pic », Hunenberg durant son existence<br />

n’a cessé <strong>de</strong> faire « naufrage », et les Ortgut dérivent « comme <strong>de</strong>s barques misérables<br />

dépouillées <strong>de</strong> tout leur gréement » (FC, 123). Carsten confie au narrateur une photo <strong>de</strong>s<br />

naufragés, et le narrateur comprend alors que pour entrer <strong>dans</strong> l’intimité <strong>de</strong> ces<br />

personnages dont il ne voit que l’apparence, il lui faut, comme un romancier, les créer,<br />

c'est-à-dire les « reconstituer » en lui-même : « Pour comprendre le drame <strong>de</strong> la Folie<br />

Céladon, il fallait d’abord aimer et imaginer, réchauffer le fantôme au lieu <strong>de</strong> l’exorciser,<br />

lui donner assise <strong>dans</strong> ma vie » (FC, 163). Il faut alors que la connaissance rationnelle cè<strong>de</strong><br />

à l’intuition, aux pressentiments et à la sympathie : « Je comptais sur l’intuition profon<strong>de</strong><br />

qui va plus loin que la connaissance et relie, par <strong>de</strong>s chemins souterrains, les êtres les plus<br />

dispersés, sur la sympathie, message du cœur au cœur, <strong>de</strong> l’esprit à l’esprit (…) » (FC, 50).<br />

<strong>Le</strong> mot « sympathie » mérite notre attention car c’est un terme qui a une valeur<br />

philosophique, qui renvoie à la Naturphilosophie du romantisme allemand et est défini <strong>de</strong><br />

la manière suivante par Albert Béguin :<br />

Entre tous les couples <strong>de</strong> tendances qui constituent la vie, une vaste analogie s’établit : au rythme<br />

du jour et <strong>de</strong> la nuit correspon<strong>de</strong>nt, sur d’autres plans, les oppositions <strong>de</strong>s sexes, les principes <strong>de</strong><br />

la pesanteur et <strong>de</strong> la lumière, <strong>de</strong> la force et <strong>de</strong> la matière, etc. Mais une gran<strong>de</strong> force parcourt toute<br />

la vie cosmique, reliant entre eux, et avec l’ensemble, tous les êtres existants ; cette force, sous<br />

l’influence <strong>de</strong>s découvertes magnétiques, on la nomme la sympathie. 591<br />

591 Albert Béguin, L’âme romantique et le rêve, op cit., p.69. Cette notion a trouvé un écho chez un écrivain<br />

contemporain <strong>de</strong> <strong>Marcel</strong> <strong>Brion</strong> : Edmond Jaloux, qui la définit ainsi : « Il me faut dire d’abord que je suis<br />

venu au mon<strong>de</strong> avec une extrême curiosité d’esprit et un grand besoin <strong>de</strong> sympathie ; mais entendons-nous<br />

sur ce mot ; pour certains, ce besoin est une forme <strong>de</strong> coquetterie, un désir d’être trouvé sympathique ; chez<br />

moi, il affectait – et il affecte toujours – la forme d’un sincère élan d’amitié à l’égard d’autrui, d’une sorte <strong>de</strong><br />

protéisme involontaire, qui agit <strong>de</strong> telle sorte que lorsque je me trouve en face <strong>de</strong> quelqu’un, je suis vraiment<br />

en sa présence ». Ces propos sont cités par Yanette Delétang-Tardif <strong>dans</strong> Edmond Jaloux, Paris, La Table

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